HISTOIRE du 4eme Régiment d'Infanterie

GUERRE DE 1914-1918

 

Les premiers chocs avec les Allemands : Signeulx

La route qui mène à Woinville en Belgique fut longue et pénible ; elle fut émaillée de nombreux incidents et événements divers.

Au départ d'Auxerre nous avons subi la pluie, puis survinrent ensuite de fortes chaleurs, journées torrides, accablantes, avec des nuits fraîches et des brouillards matinaux.

Au cours de cette première grande marche d'approche nous avons eu la chance de trouver des cantonnements suffisants et dans cette atmosphère de bivouac nous nous croyions par moments aux grandes manœuvres. L'esprit caustique des gars de chez nous était un agréable piment de ce début de guerre qui laissait planer sur nous les sentiments d'inquiétude que l'on éprouve toujours lorsqu'on s'en va vers l'inconnu.

Les arbres qui bordaient les routes ne nous abritaient pas du soleil mais par contre ils nous assuraient un rafraîchissement agréable et gratuit car il s'agissait de pommiers.

L'excès de consommation de pommes à cidre fut la cause de nombreux inconvénients qui, de temps en temps éclaircissaient les rangs des sections, momentanément.

Au fur et à mesure que nous approchions de la frontière nous ressentions déjà, par différents signes, la présence de l'ennemi.

Nous croisâmes une automobile conduite par un officier français (?) qui s'arrêta et nous exhiba triomphalement une paire de bottes de uhlan, un dolman et un sabre, à notre grand ébahissement Nous sûmes plus tard que ce pseudo officier d'état-major n'était qu'un habile espion qui parcourait nos colonnes en sens inverse afin de renseigner l'ennemi.

De temps en temps nous rencontrions, ou croisions, d'autres unités se dirigeant gaiement vers la frontière et nous retrouvions à notre grande joie des Auxerrois tel que ce négociant en ameublement de la place de l'Hôtel de ville qui était lieutenant dans une unité du train, d'autres qui servaient dans les brancardiers divisionnaires, un autre, dont une rue de notre ville porte le nom, et qui après la guerre devint

préfet et qui à l'époque n'était qu'un simple maréchal de logis de Dragons.

Nous atteignons Mangiennes qui venait d'être le théâtre d'un dur accrochage entre un des régiments qui nous précédait et un corps de troupes allemandes qui avaient pénétré en France en avant-garde.

Après cet engagement les Allemands étaient rentrés en Belgique où ils se retranchaient, nous y attendant de pied ferme.

C'est là où, pour la première fois, nous voyons les premières tombes de nos camarades tués en combattant.

Ces tombes étaient ornés d'une simple croix de bois, coiffée du képi rouge et nos regards n'arrivaient pas à se séparer de ce spectacle émouvant.

De place en place, d'autres tombes portaient sur leur croix le calot noir des Allemands.

La vue de ce premier champ de bataille laissa sur la troupe muette une émotion profonde. C'était la page ouverte sur le grand drame de la guerre où nous étions appelés, nous les fantassins, à jouer le rôle le plus dur et le plus difficile.

Plus nous approchions de la frontière belge plus nous ressentions et percevions la présence de l'ennemi.

Le 21 août, au moment où nous arrivions à l'ultime cantonnement, dans le village de Tellancourt, après une marche de plus de quarante kilomètres sous une chaleur étouffante et écrasés par le poids de notre chargement de campagne, nous vîmes, au débouché d'une route toute droite, au loin, la ville de Longwy en flammes.

Tragique apparition d'une guerre sans merci.

En entrant dans Tellancourt notre attention fut attirée par la présence d'une sentinelle, baïonnette au canon, qui gardait des prisonniers allemands. Nous regardions ceux-ci avec curiosité au travers d'une porte grillagée. Ils avaient été pris au moment où ils effectuaient une corvée de ravitaillement.

Mais nous étions trop las pour nous intéresser à d'aussi petites choses. Nous n'avions qu'une idée, nous arrêter, nous jeter à terre et dormir. Dormir !

Peu nous importait où pouvaient être les ennemis. Nous étions incapables même d'y réfléchir.

Au milieu de la nuit, au moment où chacun sombrait dans le plus profond sommeil, des coups de feu éclatèrent. Les sentinelles, aux avant-postes appelaient « aux armes ».

Il fallut à tâtons rassembler ses affaires, dans une obscurité totale, répondant aux appels des gradés.

Il y eut un certain affolement, d'ailleurs fort compréhensible mais ce n'était qu'une fausse alerte, car lorsque les patrouilles rentrèrent on apprit qu'il ne s'agissait que d'une méprise les sentinelles gardant le village ayant pris pour des ennemis un paisible troupeau de bétail errant dans les champs.

Peu après tout le cantonnement retrouvait dans le silence de la nuit le calme qu'apporte un sommeil réparateur.

Dès l'aube toutes les sections se rassemblèrent, en tenue de départ et la marche en avant reprit à travers champs et voies ferrées au milieu d'un intense brouillard.

Seuls ceux qui ont vécu des heures aussi dures peuvent comprendre ce qu'il faut d'énergie pour repartir, sac au dos et le fusil en bandoulière, à travers la campagne, le ventre plutôt creux et le cerveau plutôt lourd, mais avec la volonté de faire son devoir coûte que coûte.

Car cette volonté dominait tout. Elle seule commandait.

Le 22 août nous franchissions, au petit matin, la frontière belge à Signeulx.

Les habitants de cette localité belge nous informèrent que les Allemands n'étaient plus qu'à deux ou trois kilomètres.

Ils furent pour nous d'une grande affabilité qui nous apporta un grand réconfort. Maintenant encore je leur dis « Merci ! »

Ils nous comblèrent de victuailles, distribuant sans compter pain, fromage, chocolat, tabac et même les indispensables allumettes.

Tout cela nous réchauffait le cœur et nous gonflait le moral.

Des ordres arrivent. La 9e division doit attaquer l'ennemi sur le front Signeulx-Gorcy. Le 4e régiment d'infanterie a pour objectif Mussy-la-Ville.

La marche en avant s'exécute encore une fois en plein brouillard.

Situation dangereuse pour une troupe qui s'avance en aveugle.

On voit à peine à cinquante mètres. Les 2e et 3e bataillons partent à l'assaut, baïonnette au canon. Mais les Allemands nous attendent. Ils sont bien retranchés alors que nous avançons à découvert.

Un terrible feu d'artillerie et de mitrailleuse nous accueille.

C'est là où nous avons reçu le baptême du feu. Comme il fallait s'y attendre, sous cette mitraille, nos troupes doivent se replier sans avoir même pu apercevoir le moindre objectif.

Néanmoins, comme aux grandes manœuvres, le repli s'exécuta dans des conditions à peu près honorables. 

Le soir, quand les débris du régiment se regroupent à la ferme de Bouillon, l'étendue des pertes apparaît : 18 officiers, 1.200 hommes sont mis hors de combat.

 

Officier mort à Signeulx

Sous-Lieutenant : LANGUMIER Louis Paul, originaire de Briare-le-Canal (45)

 

Soldat morts à Signeulx

ANDRÉ Albert, originaire d'Auxerre (89)

PERNIN Edmond  Henri, originaire de Montrouge (92)

SAMOUR Fernand  Henri, originaire de Chatillon-sur-Loire (45)

GIGOT Pierre

PINSON Camille  Jules, originaire de Varennes-Changy  (45)

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