L'Abbé DESCHAMPS
L'ABBE DESCHAMPS AU SERVICE DE LA JEUNESSE
A l'ère de la communication planétaire et du sport de masse, une ville moyenne
comme Auxerre doit à son équipe de football, l'A.J.A., d'être connue dans
toute la France et même au-delà. Quel chemin parcouru depuis la fondation de
l'Association de la Jeunesse Auxerroise, en 1905, par un jeune vicaire de la
cathédrale, l'abbé Deschamps ! Une association vouée aux activités sportives
mais au sein de laquelle déjà l'abbé Deschamps marquait une prédilection
pour ce sport d'équipe.
Une vocation tardive
A la croisée des deux siècles, de graves problèmes agitaient la France :
lutte des radicaux contre l'Église, la question des droits de l'homme avec
l'affaire Dreyfus, mais plus profondément encore, la question sociale qui ne
laissait désormais personne indifférent. L'Église l'avait compris
officiellement, un peu tard sans doute, avec l'encyclique Rerum Novarum (1891)
et sur le terrain par l'action de laïcs généreux comme Albert de Mun,
fondateur de l'Association Catholique de la Jeunesse Française (1886). Car la
jeunesse, au sein du problème social, était un enjeu capital. Patronages et
associations du type de l'A.J.A., comme le dira plus tard l'abbé Deschamps, en
s'appuyant sur le cas d'Auxerre, devaient « donner un exemple remarquable de la
fusion des classes... vraie solution pour résoudre le problème social... en
faisant fraterniser dans une cordiale camaraderie des enfants et des jeunes gens
de tous âges et de toutes conditions ». Ainsi parviendrait-on, selon l'abbé,
à faire « de tout homme un bon Français, un vrai chrétien, un homme de
devoir ». Et il ajoutait, ce qui en disait long, que « s'il fallait choisir
entre l'établissement d'une école religieuse et celui d'un patronage, il
faudrait établir le patronage ».
La vocation de l'abbé Deschamps est ce que l'on appelle une vocation tardive. Né
en 1868, à Villiers-sur-Tholon, fils d'un boucher plutôt anticlérical, Ernest
Deschamps s'éleva par l'école, comme presque tous les jeunes de son époque.
Sorti du collège d'Auxerre avec le baccalauréat, il se dirigea vers le
notariat et fut successivement clerc à Auxerre, Joigny puis Argenteuil, dans la
région parisienne. Quels que soient le goût et la compétence dont il faisait
preuve dans l'exercice de sa profession, un vide se manifestait en lui qu'il
devait combler. Déjà, à Auxerre, il s'était engagé dans le patronage
Saint-Joseph fondé en 1887 par l'abbé Geste et il avait poursuivi cette action
dans la région parisienne. L'appel de Dieu, inséparable du service de la
jeunesse, lui ouvrit les portes du séminaire en 1895. Ordonné prêtre en
1900—il a 32 ans—il est nommé vicaire à la cathédrale Saint-Étienne
d'Auxerre, paroisse qu'il ne quittera plus et dont il deviendra l'archiprêtre
en 1934.
Le nouveau et infatigable vicaire reprend et développe « les branches qui s'étaient
successivement greffées sur le tronc du patronage » : conférence Jeanne d'Arc
destinée à l'étude des questions sociales ; cercle Amyot à l'usage des collégiens
et des grands élèves des autres écoles ; cercle Docteur-Paradis pour réunir
les anciens du patronage et les hommes pratiquants ; et, bien sûr, I'A.J.A.
Et ce n'est pas tout ! Ces multiples activités nécessitaient des locaux qu'il
dut trouver, et des terrains pour aménager un stade, route de Vaux, dont
l'acquisition l'obligea à convaincre dix-huit propriétaires différents !
Il fallait également penser aux vacances des enfants. Pour cela il fonda avec
l'abbé Paillot une colonie, le Bon-Air, d'abord à Saint-Martin-sur-Armançon
puis en Savoie (à Nancroix). Quant aux familles, il convenait de leur offrir la
possibilité de voir des pièces de théâtre ou des films qui soient en accord
avec la morale chrétienne ; à cet effet, il fit construire Le Familia, rue du
4 Septembre (le bâtiment est aujourd'hui démoli et l'emplacement sert de
parking au conseil général), inauguré solennellement en 1933 par Mgr Feltin.
Tout ceci, y compris les soins qu'il donnait à la cathédrale, était fort coûteux.
En chaire, comme par l'intermédiaire du bulletin « La Grappe », fondé en
1927, il sut, non sans autorité, obtenir ce qu'il souhaitait de la charité des
fidèles. Des fidèles qu'il n'oubliait pas, car à côté de son incessante
action en faveur des œuvres, il ne négligeait pas son ministère paroissial et
veillait scrupuleusement à ce que chacun remplisse ses devoirs de chrétien.
Les Auxerrois l'appelaient "Nénesse"
La Seconde Guerre mondiale allait encore augmenter son prestige. Quand tout
s'effondre, en 1940, il ne restait à Auxerre, rapporte malicieusement Marie Noël,
que l'abbé Deschamps et environ 800 personnes dont 50 braves gens. Avec le
maire Jean Moreau, il s'efforça pendant les années terribles de maintenir ce
qui pouvait l'être. « Il fut ce prêtre qui n'a jamais hésité à prendre
devant leurs juges la défense de ses concitoyens et à accompagner jusqu'au
poteau d'exécution les innocentes victimes » dira Mgr Lamy.
Les honneurs couronnaient son sacerdoce et son œuvre : vicaire général, prélat
de sa Sainteté, protonotaire apostolique, médaille d'or de l'Éducation
nationale, Légion d'Honneur remise par le président Vincent Auriol en 1949.
Mgr Deschamps, que les Auxerrois appelaient familièrement « Nénesse », était
plus que jamais une personnalité de premier plan que son énergie, sa détermination,
sa droiture, son influence, ses réalisations faisaient unanimement respecter.
Il avait encore la grande joie de contribuer aux fêtes du 15è centenaire de
saint Germain en 1948. Mais l'âge et la maladie minaient une force qui
paraissait indomptable. Il mourut le 1er décembre 1949. Il repose désormais
dans cette cathédrale qu'il a tant aimée.
Jean-Pierre ROCHER
09.07.2001
Bibliographie : Antoine Demeaux, "L'abbé Deschamps
(1868-1949), fondateur de l'A.J.A." 1999.