LA CURNE DE SAINTE PALLAYE |
Deux célèbres personnages auxerrois du XVIIIe siècle Les Frères LACURNE de SAINTE-PALLAYE et leur relation avec l’Abbé LEBEUF Dans
la salle des peintures du Musée municipal figure une toile de l’école
française du XVIIle siècle représentant les frères jumeaux Lacurne, nés
à Auxerre le 6 juin 1697. Leur
père, ancien receveur du grenier à sel, était gentilhomme de la Maison
du Duc d’Orléans, frère du roi. Ils
furent élevés par la mère, ensemble, jusqu’à l’âge de vingt
ans. Leur
ressemblance physique était telle qu’il fut difficile de les distinguer
jusqu’à un âge avancé. Leur amitié fraternelle était si fidèle
et si étroite qu’ils décidèrent de ne jamais se séparer et qu’ils
renonceront au mariage l’un et l’autre. Mais
leur personnalité morale était très différente. L’un des deux
Lacurne ne s’adonnait qu’aux travaux domestiques, rangeait la maison,
effectuait les emplettes et gérait, en quelque sorte, le foyer.
L’autre, au contraire, était très doué pour les travaux de l’esprit
et dès l’âge de quinze ans, il s’était consacré à l’étude des
langues anciennes. Il acquit bientôt une prodigieuse érudition. Pour
les distinguer l’un de l’autre on donna à l’érudit le nom de
Sainte-Pallaye, village de l’Auxerrois où la famille possédait des
terres. Quant au second il continua à porter simplement le nom de Lacurne. Restif
de la Bretonne a connu Sainte-Pallaye car il l’a pris comme un des
personnages de son roman : Les contemporains. Jean-Baptiste
de Sainte-Pallaye fut élu membre de l’Académie des Inscriptions en
1724 et membre de l’Académie Française en 1758. On
lui doit de nombreux ouvrages d’érudition parmi lesquels nous signalons :
Les Tables chronologiques des diplômes, chartes, titres et actes imprimés
concernant l’histoire de France, Le Dictionnaire des Antiquités françaises,
un Glossaire, un Dictionnaire historique du vieux langage français ainsi
que de nombreux essais, remarques, notices, lettres et observations. Cependant,
de toutes les oeuvres du grand érudit, celles pour lesquelles il se
passionna le plus et qu’il eut le temps de
terminer, sont ses célèbres Mémoires sur la Chevalerie. Jean-Baptiste
mourut le 1er mars 1781. Son frère Lacurne était mort quelque temps
avant lui. La perte de son jumeau lui fut tellement sensible qu’il
n’eut plus la force ni le courage de terminer de nombreux ouvrages
qu’il avait entrepris. Lacurne
en mourant n’avait-il pas dit « Que va devenir mon frère ? Je m’étais
toujours flatté qu’il mourrait avant moi ! » Ils
avaient fait faire leur portrait tous les deux sur la même toile pour
perpétuer leur union fraternelle. L’artiste en est inconnu. On peut
s’étonner, d’ailleurs, de ne pas retrouver sur la peinture cette
ressemblance étonnante que les biographes confirment avoir existé. On
pense que Sainte-Pallaye, le savant, est à droite sur le portrait. LEBEUF
ET SAINTE-PALLAYE
On
trouve dans la correspondante de l’Abbé Lebeuf des passages qui ont
trait à ses relations avec J-B. Lacurne de Sainte-Pallaye. En
mars 1722 ( Lebeuf avait 35 ans et Lacurne seulement 25 ) Lebeuf écrit au
Père Claude Prévost (1) : « Je
sors de chez M. de La Curne, seigneur de Sainte-Pallaye, dont la mère
demeure à Auxerre depuis un an ou environ. Il venait de recevoir les sept
tomes des Jugements des Savants de M. Baillet. J’ai voulu voir ce
qu’il disait de Germain de Brie et j’ai trouvé qu’il l’appelle de
Brice, etc...». Un
mois plus tard Lebeuf écrit à nouveau au P. Prévost au sujet de
l’intention de ce dernier de rédiger un Mémoire sur le Sacre des rois « Je
loue fort le dessein que vous avez d’écrire sur le sacre des rois,
J’en parlerai à M. de La Curne de Sainte-Pallaye. Il pourra me dire
s’il a, dans sa bibliothèque de Paris, quelque chose qui puisse vous
servir...». Puis
le 5 novembre 1728 Lebeuf écrit au P. Prévost : « Ce
qui m’avait fait accepter d’aller officier à Sacy (près de
Vermenton) sur la route de Bourgogne, le jour de la Décollation de Saint
Jean, village dépendant des Templiers, ancienne église des XlIe et XIIIe
siècles, est que le lendemain je projetais de voir les grottes d’Arcy
que je n’avais jamais vues. Mais la maladie de Monseigneur, qui devait y
être ce jour là en faisant ses visites, fit remettre la partie à un
autre temps. Sa Grandeur a été voir les grottes vers le milieu du mois
dernier. Comme il fit alors un temps très mauvais, je fus privé de l’y
accompagner, mais M. de Sainte-Pallaye, qui en est voisin, m’y ayant
invité, j’ai été le lendemain de SaintSimon et suis revenu pour la
Toussaint ». Dans
une lettre que Lebeuf adresse au doyen Fenel à propos du désir exprimé
par un savant, M. de Foncemagne, membre de l’Académie, de consulter un
manuscrit dans lequel figure le roman de Gérard de Roussillon et de le
collationner avec celui du roi, lettre du 3 novembre 1741, on lit : «
M. de Foncemagne m’écrit qu’il est au désespoir de ne pouvoir être
à Paris qu’au commencement de Décembre. Mais comme M. de
Sainte-Pallaye reviendra ici pour la Saint-Martin et que c’est avec lui
qu’il veut faire la comparaison des manuscrits du roman de Gérard de
Roussillon, il me prie de le garder encore et de le faire agréer. Ce
M. de Sainte-Pallaye est M. de La Curne, qui est seigneur du village de ce
nom, à quatre lieues et demie au-dessus d’Auxerre ; sur la rivière
Yonne. il est encore plus de mes amis que M. de Foncemagne ». Toujours
au sujet de ce manuscrit Sur Girard de Roussillon, Lebeuf écrit à Fenel
le 18 décembre 1741 : «
Pour nouvelle, sur votre manuscrit de Girard, je vous dirai, Monsieur, que
M. de Sainte-Pallaye me le rendra environ dans un mois, lorsque la
comparaison sera faite avec les deux de M. Bouhier, de Dijon. Il se
propose, par reconnaissance, de vous faire copier les feuillets qui
manquent au vôtre et de vous le rendre complet. C’est un Auxerrois, né
de Notre-Damelà-d’Hors, très poli, très doux et très humain ». Enfin
dans une lettre de Lebeuf au Président Bouhier en date du 20 janvier
1742 : « J’ai
prié l’un de mes amis, chanoine de la Sainte-Chapelle de Dijon, de vous
présenter cette lettre. M. de Sainte-Pallaye a promis de me faire voir le
dépouillement qu’il a fait de votre catalogue de manuscrits. J’aurais
bien souhaité que ce catalogue eût été imprimé tel que vous l’avez
rédigé, afin qu’il pût servir de modèle pour celui de la Bibliothèque
du roi...». Pour
terminer voici une note amusante concernant une séance à l’Académie
des Sciences à laquelle assistaient Lebeuf et Sainte-Pallaye. Lettre
à Fenel du 19 avril 1744 : «
Vendredi, les MM. de l’Académie des Sçiences n’étant pas venu à
cause de la pluie, nous faire part des pièces de leur semestre, on se
trouva au dépourvu et comme on n’avait rien apporté pour lire, M. de
Sainte-Pallaye demanda qu’on lût la pièce qui avait remporté le prix,
à quoi M. Fréret secrétaire, répondit qu’elle était chez lui avec
les autres. Au lieu de cela il en tira une de son, armoire qui, dit-il,
n’était arrivée, à Paris qu’au mois de janvier et n’avait pas
concouru. Elle était latine et paraissait venir d’un Allemand. On en
lut tant que dura la séance, mais on n’était pas content. Durant
cette lecture, M. Fréret allait et venait, où bon lui semblait, et
approchait quelquefois du poêle qui est derrière M. Melot et moi comme
il s’appuyait sur le dos de la chaise de M. Melot et qu’on entendait
que des choses mal rangées dans l’écrit de cet allemand, ou qui ne
venaient pas « ad rem » il lui échappa de dire à mi-dents que ce
n’était que la multitude de la matière qui avait embarrassé nos
travailleurs. Tirez votre conséquence. Je n’ai rien appris autre chose,
mais je n’ai pas laissé tomber cela ». Ainsi
qu’on peut le constater, à la lecture de cette correspondance, l’abbé
Lebeuf ne cessa d’entretenir avec son compatriote et voisin J.-B.
Lacurne de Sainte-Pallaye des relations amicales qui trouvaient leur
source dans leur commune érudition. D’importants
travaux de compilation, de lecture de manuscrits, de recherches furent
effectués en commun. Cela
est tout à l’honneur de nos deux grands savants auxerrois. Il
existe à la Bibliothèque nationale, dans le fonds Brequigny, une
quinzaine de lettres adressées par Lebeuf à son ami de Sainte-Pallaye,
Le savant auxerrois Ernest Petit les a rassemblées dans l’Annuaire de
l’Yonne de 1884. Il apparaît que les deux savants ont lié connaissance
en allant visiter ensemble la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Germain
d’Auxerre. Sainte-Pallaye y avait vu plusieurs livres qui lui avaient
causé une telle tentation que Lebeuf n’avait pas hésité à se faire
son complice pour les lui procurer à l’insu des religieux qui ne s’en
souciaient guère. (1)
Claude Prévost né à Auxerre le 22 janvier 1693 était un grand ami de
Lebeuf, il entra dans la Congrégation de France de chanoines réguliers
et s’y distingua si bien qu’il devint bibliothécaire de l’abbaye-mère
de Sainte-Geneviève de Paris. Il consacra sa vie à l’érudition et sa
correspondance avec Lebeuf est presque aussi importante que celle que
notre grand historien d’Auxerre échangea avec le doyen Fenel |
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