Le nom de Chantepinot était, dès le XIVe siècle, celui d’une
famille auxerroise. Le Livre des rentes de l’hôtel-Dieu fait mention,
en 1335, d’un Regnaut Chantepinot. Pierre Chantepinot était garde du sceau de
la prévôté d’Auxerre en 1364. Etant châtelain de la même ville en 1381,
il tua le curé de Varzy qu’il avait pris pour un des gens d’église qui
insultaient pendant la nuit les sergens du roi. Absous de ce meurtre par le pape
et gracié par le roi, il fut toutefois condamné par ce dernier à faire à
pied un pèlerinage à Saint-Ladre d’Avallon (Lebeuf, Preuves de l’Histoire
d’Auxerre).
Regnaut Chantepinot possédait une maison près des fossés de la ville,
qui fut démolie en 1425 pour la sûreté de la ville (Archives de la Côte-d’Or,
B. 2566).
Il est tout à fait probable que c’est du voisinage de cette maison
que la porte, et par suite la rue Chantepinot, ont reçu leur nom. Toutefois,
dans les temps plus anciens, on appelait la porte Chantepinot: la porte
Saint-Julien, à cause du monastère de ce nom auquel elle conduisait.
En
1946 elle reçu le nom de Germain Bénard, un ancien conseiller municipal, né
dans cette rue et décédé en 1921.
On a aussi appelé cette rue la rue de l’Hôpital.
Quoique de peu d’étendue, la rue Chantepinot avait autrefois
plusieurs maisons remarquables.
Sur la place sise au pied de la montagne existait l’hôpital des
Grandes-Charités ou de la Madeleine, ainsi nommé à cause des reliques de
cette sainte apportées de Vézelay par l’évêque Guy de Mello, au milieu du
XIIIe siècle. Son origine remonte aux premiers temps chrétiens, mais il ne
prit d’existence bien réelle qu’après la construction de l’enceinte
moderne de la ville, au milieu du XIIe siècle. Les habitants et le doyen du
Grand-Chapitre jouissaient, dès le XIIIe siècle, du droit de régir la maison
(Archive de l’Hôtel-dieu), et des frères du prieuré
de Saint-Amatre y servaient les malades. Les religieuses de Saint-Augustin y
furent établies en 1613; elles remplaçaient les Béguines d’Abbeville, que
les administrateurs y avaient appelées en 1479, lorsqu’on reconstitua le
service hospitalier. L’autorité des bourgeois, consacrée par le concile de
Vienne, en 1304, s’est toujours exercée dans l’Hôtel-dieu; une délibération
de l’an 1379 fixa le nombre des gouverneurs à trois. En 1568 on en adjoignit
un quatrième, qui était un ecclésiastique élu par le clergé de la ville.
Les libéralités des habitants n’ont jamais manqué aux
Grandes-Charités, et l’on remarque même que jusqu’au XVIIIe siècle,
beaucoup de personnes de pays plus ou moins éloignés de la ville ne les
oubliaient pas dans leur testament.
Il était assez ordinaire autrefois de voir des personnes des deux sexes
se donner avec leurs biens à l’Hôtel-Dieu. Les unes y entraient à titre de
pensionnaires, « pour estre logées, nourries et entretenues pendant leur
vie; » les autres y étaient reçues tantôt comme religieuses, tantôt
comme servante.
Les familles les plus honorables ne rougissaient pas d’y placer leurs
parents âgés en les dotant d’une manière raisonnable (Minutes de Chardon,
notaires, Arch. de l’Yonne, série E).
Au XVe siècle, l’hôtel-Dieu était devenu un bureau de secours, dont
les revenus étaient très réduits, et l’on ne voit pas, dans les comptes,
qu’on y reçût alors de malades. En revanche, les administrateurs faisaient
souvent des distributions en argent, tantôt dix sous, tantôt vingt sous à de
pauvres filles pour les aider à se marier. Ils payaient quelquefois des femmes
qui allaitaient des enfants demeurés orphelins, et ils secouraient d’autres
femmes en couches.
On trouve, en 1453, cet article qui prouve ce que je viens de dire :
« A plusieurs personnes estans ès maisons-Dieu et autre part en nécessité
de maladie, 52 sous, en menues parties. » (Compte de 1453, Archives de l’Hôtel-Dieu)
Il est alors fait mention de gens traités de la pierre. (Compte de
1454).
En 1509, l’administration de l’hôtel-Dieu était bien singulière.
François Leduc, chanoine, qui en était Maître, on amodie les revenus à un prêtre
nommé Chaté, moyennant 35 livres, à charge d’y faire le divin service
accoutumé et d’y administrer les pauvres ; il se réserve le grand jardin, la
salle des bourgeois et les habits des pauvres défunts qu’il a laissés à sa
servante (Archives de 1’Yonne, Protocoles, E, n0 487).
Les comptes de la fin du XVIe siècle font voir que le service des
malades y était pleinement rétabli. Il y avait, en 1588, quatre enfants
orphelins en nourrice, qui coûtaient 3 livres par mois. L’hôpital avait
alors près de deux mille écus de revenus. En 1673, il y avait 18 lits pour les
hommes et 16 lits pour les femmes, la plupart occupés par deux malades, selon
l’habitude. On comptait dans la maison neuf religieuses, un chapelain, deux médecins,
un chirurgien, un apothicaire, deux servantes et un valet. Il y avait 16 enfants
trouvés mis en nourrice. (Lebeuf, Histoire d’Auxerre, t. II, 300).
Le domaine de l’hôtel-Dieu était très vaste et occupait, au dernier
siècle, tout le massif compris entre la rue
Basses-Perrières au nord-ouest, le
mur de la ville au sud, et la rue Germain Benard jusqu’à la place
Saint-Mamert à l’est. Les maisons qui regardent cette place ont été
successivement aliénées.
Parmi les bienfaiteurs de l’Hôtel-Dieu, les plus marquants sont
Germain de Charmoy, chanoine d’Auxerre, qui fut inhumé dans la chapelle du
Charnier, en 1535; Michel Le Caron, autre chanoine et docteur en médecine, qui
ordonna par son testament d’y bâtir une salle spéciale pour les pestiférés;
les évêques Amyot et Colbert, l’abbé
Lebeuf et d’autres se sont signalés par leurs libéralités envers l’hôtel-Dieu.
L’abbé Potel, savant chanoine, auquel nous avons emprunté une partie
des détails qui précédent, était, au XVIIIe siècle, administrateur de l’Hôtel-Dieu
; il a publié une notice intéressante sur la maison des Grandes-Charités
(Voyez Recueil de Pièces d’Antiquités sur la ville d’Auxerre, par
M.***, Auxerre, 1776, in-12).
On trouvait dans l’intérieur une vaste cour qui existe encore plantée
d’ormes séculaires. Au fond était le grand cimetière et les cloîtres ou
galeries dont les vestiges se reconnaissent à leur style renaissance.
En 1749
fut construite, du côté des murs de la ville, une vaste
salle qui longe la rue Germain Benard et
qui vient jusqu’à la cour qui précède la chapelle. Ce dernier édifice est
le seul morceau qui ait conservé un peu de son caractère primitif du XIIe siècle,
au milieu des constructions de l’hôpital. On remarque son chevet coupé droit
sur la rue. A la base sont deux lancettes; en haut une rosace encadrée par un
arc à plein cintre porté par deux colonnettes. Un cordon de modillons formé
de chevrons brisés règne sous le grand comble. L’intérieur en a été
reconstruit au XVIe siècle et présente des caractères irréguliers.
N’oublions pas la chapelle Saint-Michel, ce complément des cimetières
chrétiens. Elle existait dès les temps primitifs dans le cimetière du
Montartre, puis elle fut transportée auprès de celui de l’Hôtel-Dieu. Après
la destruction de l’église
Saint-Amatre, en 1567, cette chapelle devint le siège de la confrérie de
Notre-Dame-de-Miséricorde établie de toute ancienneté pour le repos de l’âme
des confrères décédés dans cette paroisse. Ses statuts furent homologués
par le parlement, le 3 mai 1741 (Archives de 1’Yonne, Fonds de Saint-Amatre).
La chapelle fut démolie en 1793 (Ibid, Fonds de l’Hôtel-dieu).
A propos de cimetière, nous ferons remarquer que le cimetière public
de la ville fut transféré dans celui de l’Hôtel-Dieu, le 1er janvier 1785,
par ordonnance de l’évêque qui, en exécution de l’édit de 1776, interdit
les cimetières des paroisses de l’intérieur de la ville. Les habitants
n’ayant pu trouver un terrain tout à fait au dehors se bornèrent à celui de
l’Hôtel-Dieu, et cet état dura jusqu’en 1790, qu’on transféra le cimetière
général dans le clos des Capucins.
L’hôpital des Grandes-Charités avec ses grandes cours et ses jardins
était au moyen-âge le lieu choisi pour la célébration des fêtes populaires.
On y représentait souvent. des Mystères. En 1462, l’Assemblée générale
des habitants décida qu’on y jouerait « le mystère de la Passion de
NostreSeigneur.
» Guillaume de Celles, marchand, fut chargé de recueillir les deniers donnés
pour les compagnons qui jouèrent dans cette fête. On trouva 40 écus d’or ou
43 livres 15 sous.
Ces mystères se célébraient avec accompagnement de fanfares. En 1508,
le jour de la fête de la Madelaine, on joua encore la Passion. Les musiciens
auxerrois Jean Michel, Guillaume Menuet et Jean Vincent, firent venir de Ferrières,
quatre le leurs confrères pour donner plus d’éclat à la fête. Ceux-ci
jouaient de deux trompettes, d’un clairon et d’une sacquebute (La sacquebute
était une espèce de trompette). Le mystère dura sept jours (Archives de
1’Yonne, Fonds des minutes des notaires). Cette longueur du drame dépasse déjà
de bien loin ce qu’on a imaginé de plus fort de nos jours. Cependant voici
encore mieux. En l551, le cimetière du Montartre ou de l’Hôtel-Dieu vit représenter
le même mystère de la Passion pendant vingt-huit jours ! Que se
passa-t-il durant ce temps? Nul ne le sait aujourd’hui, mais le cimetière fut
pollué et le scandale nécessita une nouvelle bénédiction par le Chapitre
Saint-Etienne, pendant la vacance du siége épiscopal. L’évêque de
Bethléem, chargé de la cérémonie, exposa succinctement le mystère de la
Passion dans sa pieuse vérité et défendit que personne à l’avenir ne fît
en ce lieu ni profanations, ni turpitudes. Il consacra aussi un autel de pierre
qui fut placé devant la chapelle Saint-Michel (Registre capitulaire, an 1554).
La cour de l’hôpital a servi depuis le commencement du XVIIIe siècle,
de Champ-de-Foire pour la vente des cuirs, de la cordonnerie et des draps.
La Révolution laissa l’hôpital debout, mais elle amoindrit singulièrement
ses revenus. Par un décret de 1840, l’hospice des vieillards y fut réuni
définitivement, et la ville obtint la cession gratuite des bâtiments de
l’ancienne abbaye
de Saint-Germain pour y transférer les services hospitaliers. Ce ne fut
toutefois qu’en 1826 que la translation fut opérée après des travaux considérables
qui affectèrent les ressources de l’Hôtel-dieu. Les anciens bâtiments
furent morcelés et vendus.
C’est dans la rue Germain
Benard,
alors de la route royale de Lyon à Paris, que se trouvait l’hôtel dit
Grand-Monarque, ou descendaient les princes de Condé, gouverneurs de Bourgogne,
aux XVIIe et XVIIIe siècles. Mme de Sévigné y data une de ses
charmantes lettres. En pénétrant dans la seconde maison du côté droit de la
rue, en entrant en ville, ou retrouve quelques moulures gothiques qui rappellent
cette célèbre auberge.
En
face de l'hôtel du Grand-Monarque, on voit encore le bâtiment
d'hospitalisation de l'ancien Hôtel-Dieu de la Madeleine dont le porche
d'entrée se trouvait à l'emplacement de la rue Marcelin Berthelot qui
n'existait pas en 1826 lorsque que l'hôpital à été désafecté.
Ce quartier était encore, au XVIIe siècle, couvert, de jardins séparés
par des haies et amodiés par l’abbesse
de Saint-Julien. L’emplacement de la maison de M. Chérest notamment était
en cet état en 1689 (Fonds Saint-Julien). En 1739, il y avait dans ces environs
une rue Grozelière.
N’oublions pas la ruelle de la
Truie qui file, située à
l’angle de la maison Guénier, n° 18. Elle a perdu son nom aujourd’hui,
mais les bonnes gens du XVIe siècle pouvaient le lui donner à coup sur en y
voyant pour enseigne une truie dans l’attitude d’une fileuse, souvenir de la
légende du moyen-âge qui raconte qu’une jeune fille, pour sauver son
honneur, pria la Vierge de la changer en truie, et qu’après sa métamorphose
elle conserva son fuseau, dernier souvenir de son état primitif. L’itinéraire
de 1794 mentionne encore cette ruelle.
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