LE «MERCURE DE L'YONNE»

Mensuel auxerrois de l'an 1829

 

Peu d'lcaunais, sans nul doute, à l'exception des professionnels « rats de bibliothèque » ou des fouilleurs d'archives, ont probablement eu la rare occasion de lire une curieuse publication intitulée « Le Mercure de l'Yonne» qui parut à Auxerre tout au long de l'année 1829, entre le 28 et le 30 de chaque mois. C'est le 25 janvier 1829 que Gallot-Fournier déclara à la préfecture avoir l'intention de publier, mensuellement, un journal intitulé "Mercure de l'Yonne", dont il était le seul responsable.

Se présentant sous forme d'une sorte de cahier broché, format 15 cm x 22 cm, le « Mercure » était imprimé chez Gallot-Fournier, à Auxerre, et avait des correspondants dans les principales villes du département.

Le prix de l'abonnement, relativement élevé pour l'époque, était de 10 F (or) pour l'Yonne et de 12 pour les autres départements. On pouvait y souscrire, soit chez Gallot-Fournier, soit chez une Veuve François, libraire, rue Croix-de-Pierre; à Sens, chez Thomas Malvin, libraire, ou chez M. Tarbé; à Avallon, chez M. Comynet; à Tonnerre, chez M. Roze, et enfin à Joigny, chez M. Zanote, ces trois derniers étant signalés comme imprimeurs.

Louis-Sébastien-Antoine Roze, connu sous le prénom d'lsidore, dirigeait, en outre, l'un des premiers journaux du département « Les Affiches, Annonces et Avis divers de la Ville et Arrondissement de Tonnerre », fondé en 1818, devenu la même année 1829 « Journal de l'Yonne » (1).

La Veuve François est signalée de son côté, dans le premier numéro de « L'Annuaire statistique de l'Yonne» de 1837, comme établie à cette date rue de la Draperie, "près la Poissonnerie", elle tenait « un assortiment de livres de piété et ceux à l'usage d'Auxerre », ainsi qu'« un cabinet de lecture contenant toutes les nouveautés des meilleurs auteurs », louant les livres au mois et au volume.

Elle taisait le commerce dans la région de « tout ce qui concerne la fourniture des bureaux, et même de la peinture à l'huile, à l'aquarelle et au dessin elle tenait un « papier de sûreté » rebelle à toute falsification et une variété de chocolats de santé, à la vanille et « analeptiques », de nature à concurrencer les épiciers et pharmaciens les mieux pourvus.

Le magasin de la Veuve François était donc, au moins sous Louis-Philippe, la librairie la plus connue d'Auxerre.

Chaque livraison du « Mercure de l'Yonne» comportait une trentaine de pages débutant presque toujours par une ou plusieurs pièces de poésies, énigmes, charades ou logogriphes dans le goût du temps et, dans une note du 29 septembre insérée dans le numéro de ce mois, nous trouvons cette précision. « Le Mercure de l'Yonne a été fondé principalement pour recueillir les opuscules littéraires des habitants du département, et sous ce rapport il était ouvert à toutes les communications qui lui étaient faites, l'auteur désirât-il conserver l'anonyme ».

Le « Mercure de l'Yonne » n'était pourtant pas une publication purement littéraire, mais s'intéressait aussi à l'actualité, à l'histoire, aux nouvelles de France ou du département, un peu à l'image de son illustre ancêtre le "Mercure de France", hebdomadaire fondé en 1672 (sous le titre de Mercure-Galant »), et qui, après diverses péripéties au début du nouveau siècle, avait disparu, au moins sous cette forme, en 1825, avant de renaître, beaucoup plus tard, sous la forme d'un mensuel littéraire.

Après les poésies, du genre larmoyant ou macaronique venaient des « Mélanges » qui, comme le nom l'indiquait, comprenaient un peu de tout : des critiques sur certaines personnalités locales, des études sur l'instruction, l'administration, des faits divers, des réflexions sur le clergé, des études sur les ouvrages récemment parus, etc.

C'est dans ces Mélanges» que se trouvaient les passes-d'armes avec un concurrent, qualifié de «libéral », le "Mémorial de l'Yonne", qui semble avoir reflété la politique « démocratique » du « Journal des Débats.

La rédaction en est confiée à M. Chaillou des Barres, "l'un des plus riches propriétaires de ce département". Ancien préfet et membre du Conseil général, ce dernier a été président de la Société des sciences historiques de l'Yonne, et Challe a rendu hommage à sa mémoire au cours d'une séance du 7 décembre 1857. La notice biographique parue sous sa signature dans L'Annuaire statistique de l'Yonne » de 1858 fait effectivement allusion, en termes assez voilés, à l'activité du « Mémorial » qui a subsisté jusqu'en 1831.

C'est le 15 janvier 1829 que l'imprimeur Perriquet déclara avoir l'intention, à dater du 20 janvier, d'imprimer un journal intitulé "Le Mémorial de I'Yonne », paraissant les 10, 20 et 30 de chaque mois, pour le compte de Chailou des Barres. Ce journal se composait d'une feuille ou une feuille et demie in quarto.

En date du 29 juin 1829, Claude-Étienne Chaillou des Barres déclare, pour se conformer à l'article 6 de la loi du 18 juillet 1828, qu'il a admis en participation, dans la propriété du «Mémorial de l'Yonne », journal politique, judiciaire, historique, littéraire et d'économie politique, Antoine-Louis Gillet, notaire honoraire à Paris, Pierre-François Piétresson Saint-Aubin, homme de lettres à Saint-Sauveur, Ambroise Challe, avocat à Paris. Il déclare, en outre, avoir choisi pour cogérant François Lefebvre, capitaine en retraite à Auxerre, auquel il a cédé un dixième de sa part.

A noter qu'en date du 14 janvier 1831, le préfet de I'Yonne recommandait aux sous-préfets et aux maires "Le Mémorial de l'Yonne », journal rédigé dans les principes libéraux dont l'Administration désire la propagation. (Archives de l'Yonne imprimerie, librairie, presse 73 T 12.)

Quoiqu'il en soit de ces polémiques aujourd'hui bien oubliées, « Le Mercure » ne pouvait passer pour défendre des idées « avancées»; dans les « sarcasmes» dont il l'accable « Le Mémorial » le qualifie d'organe officiel de la préfecture, ce qui semble être la vérité, étant donné les palinodies à l'égard de la famille régnante des Bourbons et les communiqués impérieux du marquis de Gasville, conseiller d'État, préfet de l'Yonne, gentilhomme de la Chambre du roi et commandeur de l'ordre royal de la Légion d'honneur.

Quelquefois, "Le Mercure" publiait des saynètes sous forme de "Proverbes dramatiques", et qui, sous l'aspect de réflexions de bon sens paysan, apportaient de l'eau au moulin des Bourbons.

Puis on y trouvait aussi des correspondances avec les abonnés, des nouvelles du Royaume ou du département, reflétant toujours l'obligatoire dévouement aux « Princes, si généralement et si tendrement aimés », que les Français devaient chasser du trône moins d'un an plus tard.

Ces nouvelles locales étaient riches en relations d'incendies ou de catastrophes» frappant telle ou telle localité, nouvelles occasions de s'attendrir sur la générosité des gouvernants : dans l'hiver 1828-1829, des incendies ravagent Villemer et Montallery, hameau de Venoy, favorisés par les nombreuses maisons couvertes de chaumes, et bien entendu (n° 1, pages 24 et 25) les incendiés ont reçu :

- du roi 4 000 F;

- de Mgr le Dauphin 500 F;

- de Mme la Dauphine 1 000 F;

- de Mgr le Duc de Bordeaux 100 F;

- de Mgr le Duc d'Orléans 300 F;

- de Mgr de Duc de Bourbon 200 F.

Et de commenter «Voilà l'emploi que nos princes font de leurs revenus, bien inférieurs à ceux dont le Trésor public s'est enrichi par la réunion au Domaine des immenses possessions de Hugues Capet et de ses descendants... », etc. pour un peu, les sinistrés eux-mêmes auraient allumé les incendies afin de recueillir avec respect la manne royale.

A la vérité, cette générosité était variable : le 30 juillet 1829, 36 ménages, dont 12 de laboureurs, sont complètement ruinés par la perte de leurs maisons, cette fois à Chéu, près de St-Florentin ; à cette occasion, les largesses ne s'élèveront qu'à 1 000 F, délivrés par le préfet "sur la caisse des incendiés" ; mais il a fait connaître - à tout hasard - ce désastre à son Excellence le ministre de l'Intérieur et à nos princes qui ne demeurent jamais étrangers au soulagement des infortunés ».

Tel était le ton général du « Mercure de l'Yonne », dont nous ne connaissons qu'une douzaine de numéros et qui ne survécut probablement pas au changement de régime de juillet 1830. 

Inutile d'ajouter que les illustrations, si appréciées et si répandues dans nos modernes magazines, étaient pratiquement inexistantes; les lecteurs de 1829, de rares abonnés, n'étaient pas habitués à pareilles débauches : deux fois seulement, en hors texte, parurent deux curieux dessins.

Dans n° 1 un bas relief du portail de la cathédrale d'Auxerre, représentant une femme dont les seins sont dévorés par deux dragons : un court article dans le texte présente le bas relief sans l'expliquer.

Dans n° 2 nous sommes initiés aux avantages et inconvénients du "pressoir à double action", invention sans doute récente et qui se présentait sous un aspect pour le moins curieux ! Intéressa-t-il les vignerons de l'époque? 

La publicité du « Mercure » était aussi hésitante et modeste : le même n° 2 nous informe qu'« une place d'instituteur à Chablis va devenir vacante et conviendrait « à un homme de 25 à 40 ans, de mœurs irréprochables, qui soit en état d'exécuter et de démontrer par principes, aussi parfaitement que possible, tous les genres d'écriture, qui possède bien l'orthographe et le calcul, et qui puisse donner un enseignement simultané, analogue à celui des Frères des écoles chrétiennes ». Bien entendu, à mérite égal, on préférera celui qui possédera le mieux le plein chant... ». 

Le 8 octobre, un fabricant de soques, installé Petite-Rue de Paris, sous une porte cochère « qui tient au café d'Apollon » Viollet père, informe ses pratiques qu'il travaille pour hommes, femmes, et enfants, garantit la solidité de ses soques, et qu'il les raccommode gratis ! Heureux temps! Une "grainière", du nom de Mlle Hérisson, rue de la Fanerie, n° 13 à Auxerre, prévient le public qu'elle a reçu de Paris un assortiment de pots à fleur, « godets pour bouture et terrines à semer », etc.

Heureux temps aussi celui où les producteurs de vins du Tonnerrois (n° 7 du 30 juillet) vantaient l'excellence des produits des « précieux coteaux qui bordent I'Armançon », vins "spiritueux, corsés ou légers, fins soyeux et portant du bouquet" et qui avaient « la propriété de pouvoir être bus à haute dose sans incommoder (!) et de conserver la bouche parfaitement fraîche... ». 

On trouvait ces merveilles à Dannemoine, chez MM. Truchy, Roze et Cie, ainsi que dans un dépôt, chez M. Colinet, Hôtel des États-Unis, passage des Petits-Frères, n° 3, à Paris. Bref, notre sympathique et distingué confrère d'il y a 146 ans oeuvrait déjà, avec l'esprit et les moyens de l'époque et l'optique de 1829, pour faire connaître au public les mille aspects de la vie de notre département. Nous lui devions bien ces quelques pensées.

 

J. FROMAGEOT, Écho d'Auxerre n° 117 (1975)


(1) Le premier numéro des "Affiches, Annonces et Avis divers de la Ville et de l'Arrondissement de Tonnerre (Veuve Roze puis Isidore Roze, imprimeurs) parut le 30 novembre 1818. Cette feuille deviendra, le 4 janvier 1829, « Journal de l'Yonne, judiciaire, agricole, commercial et littéraire, Affiches, Annonces, etc., de Arrondissement de Tonnerre et du Département de l'Yonne «. (Arch. de l'Yonne. Les Périodiques de l'Yonne, dossier F 234. Essai manuscrit sur le journalisme dans l'Yonne d'après Émile Lorin.)


 


Poésie publiée dans le n° 2 de février 1829 du « Mercure de l'Yonne »

LE CHIEN DU PAUVRE

Muses, que votre luth gémisse

Du coup fatal dont m'a frappé le sort !

Que l'écho plaintif retentisse

Des sons lugubres de la mort !

Errant et malheureux, le languis

sur la terre;

Je languis sans asile et partout rebuté;

Hier encore, endormant ma misère,

Je me disais : un ami m'est resté.

De mes destins le compagnon fidèle,

Mon chien, hélas ! partageait

mes malheurs:

Et par ses soins, ses caresses et son zèle,

Il s'efforçait de calmer mes douleurs !

A mes côtés, dans les moindres alarmes,

Il se rangeait d'un air audacieux

Et quelquefois venait lécher mes larmes

Qui, malgré moi, s'échappaient

de mes yeux.

Mais le destin, à mes vœux, inflexible,

De mes malheurs éternisant le cours,

Vient m'arracher le seul ami sensible,

Le seul, hélas ! qui consolât mes jours. 

Mon chien n'est plus ! Maintenant

dans le monde,

Du sort cruel, jouet infortuné,

Partout trahi, partout abandonné,

Je vais traîner ma douleur vagabonde.

Et nul, hélas ! ne viendra l'adoucir !

Toi seul, du moins, par ta vive caresse

Quand tu voyais, sur le soir, s'obscurcir

Mon front ridé qu'accable la vieillesse.

Infortuné, mes pleurs sont superflus !

Jugez humains de mon regret sincère;

Je vous ai vus repousser ma misère;

Qui m'aimera quand mon chien

ne vit plus ?

De BRABANT, élève de rhétorique au collège d'Auxerre.

 

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