Condorcet ( 1754 - 1760 )

A la mort de Charles de Caylus, le chapitre nomma, en vertu de son droit de régale, et suivant les prescriptions canoniques, six vicaires généraux qui, pendant la vacance du siège, prirent différentes mesures d’administration.

Boyer, évêque de Mirepoix et ministre de la feuille des bénéfices, voulant arrêter à Auxerre le triomphe du Jansénisme, proposa au roi, le 24 juin 1754, pour succéder à de Caylus, Jacques de Condorcet, alors évêque de Gap.

Issu d’une ancienne et noble famille du Dauphiné, Jacques de Condorcet naquit an château de Condorcet, près de Nyon, au diocèse de Die, le 11 novembre 1703, et était le troisième fils d’Antoine de Caritat, seigneur de Condorcet, de Montaulieu, etc., et de Judith Arnica. Dans sa jeunesse, il suivit la carrière des armes et servit pendant plusieurs années dans les chevau-légers. S’étant ensuite fait ecclésiastique, il devint grand-vicaire d’Agen, puis de Rodez, sous Jean d’Yse de Saléon, son oncle, qui fut successivement évêque de ces diocèses et mourut, en 1751, archevêque de Vienne. Il se signala en Rouergue par son zèle pour la bulle Unigenitus.

Nommé évêque de Gap par brevet royal du 31 octobre 1741, l’abbé de Condorcet ne tarda pas à obtenir ses bulles, fut sacré le 28 janvier 1742, et prêta , le 26 mars suivant, serment de fidélité entre les mains du roi. Le 4 août de la même année, il fit son entrée solennelle à Gap, et souscrivit la déclaration de respecter ce qui restait des vieux droits et des anciennes franchises de la cité.

Le nouveau prélat se mit immédiatement à l’oeuvre et s’efforça de faire revivre au sein de son clergé les ordonnances synodales de ses prédécesseurs. Il eut, il est vrai, quelques démêlés avec son chapitre au sujet de ses privilèges épiscopaux, mais ils se terminèrent heureusement, le 22 août 1745, par une transaction qui régla aussi quelques autres affaires relatives à la reconstruction des moulins de Charance et à la succession de Claude de Cabanes, son prédécesseur. Il fit ouvrir au palais épiscopal un registre dans lequel tous les membres de son clergé, et même les doctrinaires, directeurs du séminaire, furent tenus de souscrire une déclaration portant qu’ils acceptaient sincèrement la constitution Unigenitus.

Son zèle pour l’orthodoxie fixa l’attention du gouvernement qui était fatigué des tiraillements intérieurs produits par les querelles religieuses, et, comme nous l’avons dit, lui valut l’honneur de réparer les désastres de l’épiscopat de Charles de Caylus. Préconisé dans le consistoire du 16 septembre 1754, de Condorcet prêta serment pour le siège d’Auxerre le 13 janvier 1755 et fut installé en personne, le 2 février suivant.

La première mesure de son épiscopat, à Auxerre, fut d’interdire tous les prêtres jansénistes à qui les pouvoirs devaient être renouvelés. IL ne fit en cette circonstance aucune exception de personnes, ni régulières, ni séculières, et eut soin de ne confier des fonctions sacrées qu’aux ecclésiastiques soumis à la bulle Unigenitus. Comme on peut s’en douter, cet interdit général souleva une véritable tempête dans le diocèse. Les curés, qui ne voulurent point se soumettre, furent aussitôt inquiétés : on leur intenta une multitude de procès criminels; mais, afin que le saint ministère ne souffrit point d’interruption, l’évêque confia des pouvoirs aux Capucins, aux Cordeliers et aux Pères de la Compagnie de Jésus que son prédécesseur avait interdits. Ces derniers furent chargés de missions dans le diocèse. De Condorcet fit plus : il ne voulut point paraître à la cathédrale, ni officier, ni communiquer in divinis avec son chapitre. Ce furent des disputes, des querelles et des discussions auxquelles, sans crainte de se tromper, on peut attribuer l’état de dépérissement où était la foi, dans ce diocèse, parmi les populations, lorsque arriva, en 1793, l’époque de la Terreur.

En faisant la visite générale du diocèse, de Condorcet trouva des personnes qui, à 25 et même à 30 ans, n’avaient pas encore fait leur première communion; d’autres, qui étaient mariées depuis 5, 6 et 10 ans, se trouvaient dans ce cas, parce que les curés jansénistes ne les avaient point jugées dignes de recevoir l’absolution. Il fit faire, en leur faveur, des catéchismes dans les chapelles de son séminaire, et donna une instruction pastorale sur les dispositions nécessaires pour le sacrement de Pénitence. Les Jansénistes la taxèrent de relâchement et leurs disputes avec le prélat donnèrent lieu à plusieurs écrits pour et contre la prédestination gratuite, la nécessité et l’étendue du précepte de l’amour de Dieu, etc. Quelques mémoires et mandements que l’évêque publia, furent trouvés contraires aux droits et privilèges du clergé de second ordre.

Le prélat persistait à ne pas avoir de rapports avec son chapitre, lorsqu’une lettre du roi, du mois de juillet 1756, l’invitant à célébrer un Te Deum d’actions de grâces au sujet de la prise du Port-Mahon,  le jeta dans un grand embarras. il s’en tira en partant brusquement de Régennes pour Montélimart, d’où il ne revint que le 26 octobre suivant.

A son retour, le corps du chapitre alla le complimenter, et le chanoine Mignot porta la parole pour lui présenter l’office de la Toussaint. Le discours de celui-ci roula principalement sur le bonheur qu’aurait le chapitre de recevoir le prélat dans son église, et sur l’ardent désir qu’il avait de voir l’union régner entre eux. De Condorcet accueillit très bien les députés, mais ne céda point.

Cependant, le jour de l’octave de la Toussaint (1756), il annonça qu’il assisterait à l’office et y parlerait. La foule accourut aussitôt. L’évêque prit en effet là parole, mais ce fut pour lire l’Instruction pastorale de Christophe de Beaumont, archevêque de Paris, datée de Conflans, et traitant de l’autorité de l’Église dans l’enseignement de la foi, de l’administration des sacrements, de la bulle Unigenitus, etc. Il concluait en excommuniant ipso facto ceux qui composeraient ou liraient des écrits contraires à la soumission due à la bulle, les magistrats qui rendraient des jugements pour faire administrer les sacrements, et ceux qui auraient recours à cette voie pour les obtenir. Son adhésion à cet illustre archevêque dans le temps de ses disputes avec le parlement, lui valut une lettre de cachet avec invitation de se rendre à l’abbaye de Vauluisant. C’était un exil. Le gouvernement voulait bien que les Jansénistes fussent retenus dans leurs écarts, mais il n’aimait ni le bruit et l’éclat. Pour empêcher ce bruit et cet éclat d’une manière plus efficace, l’évêque reçut l’ordre de se retirer au château de Condorcet, dans sa famille, où il demeura près d’un an.

De retour à Auxerre (6 décembre 1757), il y continua ses visites pastorales, et suivit courageusement les principes qu’il avait adoptés pour règle de conduite. Ses ordonnances et ses procès contre les Jansénistes furent cassés par des arrêts de défenses et par des appels comme d’abus devant le parlement de Paris. Ces contestations qui désolaient le diocèse, déterminèrent Louis XV à demander la démission du prélat qui s’y refusa longtemps. Certains gazetiers ont même écrit qu’il avait fait le voeu de mourir évêque d’Auxerre. Cependant, après avoir assisté, en mars 1760, à l’assemblée du clergé dont il fut l’un des présidents, et fait la visite des paroisses du diocèse, où il essaya de déraciner l‘esprit janséniste implanté par son prédécesseur. M. de Condorcet songea à quitter Auxerre pour Lisieux. Cette affaire fut traitée avec le plus grand secret. Le 1er décembre de cette année, un arrangement fut signé entre lui et J.-B. Marie de Cicé, évêque de Troyes, qui devait lui succéder. Le ministre y donna son approbation. Ce ne fut toutefois qu’au mois de mars suivant que le changement fut connu.

Le brevet royal du transfert de l'évêque d’Auxerre au siège de Lisieux est datée du 1er janvier 1761. De Condorcet fut préconisé à Rome dans le consistoire du 16 février suivant, et prêta serment de fidélité entre les mains du roi le 9 mars.

Le nouvel évêque de Lisieux ne se relâcha point de ses principes et maintint toujours intacts les droits de l’Église et de la foi; mais le diocèse qu’il gouvernait alors, était loin d’être gangrené par l’hérésie du jansénisme comme celui qu’il venait de quitter. Il eut cependant à sévir contre quelques ecclésiastiques récalcitrants.

Il mourut généralement regretté, le dimanche 21 septembre 1783, à l’âge de près de 80 ans.

On a reproché à ce prélat son humeur litigieuse, son goût décidé pour la chicane et un grand amour de la vaine gloire; mais les Jansénistes qui l’ont tant décrié, n’ont pu formuler aucun reproche contre ses moeurs qui étaient exemplaires, et on peut croire que ce ne fut point par ménagement. Il avait du zèle et de l’éloquence, s’exprimait avec beaucoup de facilité, se montrait fort charitable, et surtout fort appliqué au gouvernement du diocèse confié à ses soins. Ce qui est certain, c’est qu’il laissa des regrets à Gap, à Auxerre et à Lisieux, et cela prouve assurément en sa faveur.

N’oublions pas de dire que cet évêque fut l’oncle de Jean-Antoine-Nicolas, marquis de Condorcet, qu’il plaça à onze ans dans la maison des Jésuites de Reims.

La vie de Jacques-Marie de Condorcet a été publiée, on 1770, par un anonyme. 

L’évêque de Gap, d’Auxerre et de Lisieux, avait pour armoiries : d’azur, au dragon d’or, onglé et lampassé le sable.

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