RESTIF
DE LA BRETONNE, Nicolas, né à
Sacy, en 1734, était destiné par sa famille à l’église ; mais
l’ardeur de son imagination et le cours des événements en décidèrent
autrement. Il apprit la profession d’imprimeur à Auxerre, d’où une
aventure avec la femme de son patron le fit partir pour Paris. Après peu
de temps il y revint comme prote et y fit un mariage fort mal assorti, et
qui eut sur toute sa carrière une triste influence. Il n’y resta guères
et retourna à Paris, où se passa le reste de son existence. En 1766, il
publia un premier roman intitulé la Famille vertueuse qui n’eut
pas grand succès. Deux ans après, parut Lucile ou le progrès de la
vertu, dont il emprunta le sujet à une anecdote scandaleuse arrivée
à Auxerre et qui y avait déjà inspiré le poème satirique de Mirton.
Après un autre roman intitulé le Pied de Fanchette, parurent une
suite de livres où, sous diverses formes, l’auteur s’attaquait à des
institutions sociales dont il provoquait la réforme. Le premier et le
plus fameux était le Pornographe. Malgré l’étrangeté du sujet
qui touchait à un des points les plus embarrassants de la moralité
publique ou plutôt à cause de ce sujet, ce livre eut un grand
retentissement. L’empereur Joseph Il, qui, quelques années après,
voulut appliquer les projets du règlement qui y étaient contenus, envoya
à l’auteur un brevet de baron avec son portrait. Vinrent ensuite le Mimographe,
le Gynographe, l’Antropographe, le Thesmographe, le Glossographe.
Restif avait encore publié quelques romans sans grand renom, tels que
la Fille naturelle et le Fin matois, lorsqu’il donna le Paysan
perverti, dont le succès fut immense, tant en France qu’à l’étranger.
Les éditions s’en succédèrent si rapidement., qu’en Angleterre
seulement, il s’en publia quarante-deux en peu de temps. La Paysanne
pervertie parut trois ans après et fit aussi une très grande
sensation. L’auteur avait dans ce roman, comme dans tous ceux qu’il
publia, raconté en grande partie ses propres aventures ou celles de son
entourage. Le Nouvel Abailard qui lui succéda eut moins de
vogue. Les Contemporaines vinrent ensuite, puis les Françaises,
les Parisiennes, les Provinciales, le Palais-Royal, le
Spectateur nocturne et les Nuits de Paris. L’auteur y
peignait les femmes et les mœurs de son temps, vues du milieu dans lequel
il vivait, et ces ouvrages en laissent une fort triste idée. Le livre
intitulé : la Vie de mon père, tranche par son caractère
digne et sérieux sur les autres ouvrages de Restif qui continua son
histoire personnelle par le Drame de la vie, suite de pièces
dialoguées, où, comme dans une lanterne magique, figurent les scènes
principales de sa vie, et par le Cœur humain dévoilé, ou les mémoires
de M. Nicolas, qui raconte toute la partie intime de son existence. La
Femme infidèle et Ingénue de Sarancourt ou la femme séparée,
deux romans qui se succédèrent à un an d’intervalle, peignirent
plus tard la triste histoire de son ménage et de celui de sa fille aînée.
Après la Vie de mon père, avait paru une composition sombre et
pleine de désespoir, intitulée la Malédiction paternelle, où se
révélait peut-être le triste souvenir de quelqu’autre drame de
famille. Restif avait encore publié en 1780, la Découverte Australe, roman
géographique inspiré de Gulliver, et de 1784 à 1793 dix-sept pièces de
théâtre, dont partie seulement avait été représentée et sans succès.
Il avait aussi, à diverses reprises, fait paraître divers ouvrages sur
l’éducation, où il combattait le système de l’Emile de Rousseau,
tels que les Lettres d’un fils à son père, les Lettres
d’un père à son fils, la Femme dans les trois états de fille,
d’épouse et de mère, l’Ecole des pères, les Veillées du
Marais, réimprimées en 1791, sous le titre de l’lnstituteur du
prince-royal. Un de ses derniers livres, la Philosophie de M.
Nicolas, est une suite de rêveries, souvent ingénieuses, mais
presque toujours chimériques. La collection des oeuvres de Restif ne
forme pas moins de 200 volumes compactés On y trouve, avec une
prodigieuse fécondité de composition et de verve, un style souvent
facile et pittoresque, souvent aussi trivial et bas, parfois une morale
austère et élevée, d’autres fois et trop souvent, un cynisme révoltant.
Plusieurs de ses livres ont été publiés sans avoir été écrits. Il
les imprimait lui-même d’inspiration. L’orthographe était du nombre
des choses qu’il voulait réformer. Son premier roman fut écrit selon
un plan de réforme orthographique radical, qu’il modifia depuis à
plusieurs reprises. En toutes choses, il cherchait l’excentricité, mais
au lieu de l’originalité il n’atteignait souvent que la bizarrerie.
Il jouit toutefois longtemps d’une immense popularité, et ne laissa pas
d’exercer une assez grande influence sur l’esprit de son temps. Et
peut-être même cette action s’est-elle prolongée d’une manière
latente sur une époque voisine de nous, car les utopistes de nos jours,
et notamment Fourrier et Proudhon ont trouvé dans ses livres beaucoup des
déclamations et des systèmes qu’il nous présentaient comme des
nouveautés. L’attraction passionnelle, la banque d’échange, le
communisme, et jusqu’à l’anathème fameux de la propriété, sont des
emprunts faits aux rêveries de Restif. La révolution le dépassa dans
ses idées et le ruina dans sa fortune. Après une vie pleine
d’agitation, il eut une vieillesse obscure et mourut en 1806. La Revue
des deux Mondes a publié sur lui, en 1850, une notice biographique
fort étendue, par Gérard de Nerval.
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