CATHÉDRALE

Le monument par excellence qui décore cette place et qui est l’honneur de la ville entière, c’est la cathédrale Saint-Etienne. Son origine remonte aux premiers siècles de l’église d’Auxerre. L’évêque saint Amatre en jeta les premiers fondements à la fin du IVe siècle. L’évêque Didier y fit des changements au IXe siècle; elle fut restaurée après un incendie par l’évêque Hérifrid, en 887. Gaudry (948) perça les cryptes d’ouvertures donnant sur la place de la cité, et Guy, son successeur, acheva l’entrée de l’église et y fit peindre les scènes du Paradis et de l’Enfer « pour en rendre, dit le chroniqueur, l’entrée plus agréable. » Un nouvel incendie ayant détruit l’édifice de fond en comble, le même prélat lui donna alors la forme d’une croix, et pratiqua des cryptes au-dessous. De nouvelles vicissitudes attendaient la cathédrale. L’évêque Hérifrid (999-1039) la restaura après un incendie qui l’endommagea gravement. C’est à lui que sont dues les cryptes existant aujourd’hui. Enfin, après diverses restaurations, arriva le moment de la construction de la cathédrale que nous admirons. L’illustre prélat Guillaume de Seignelay en jeta les fondements en 1215. Les travaux furent poussés avec activité, et bientôt l’on vit s’élever dans les airs le chœur de la nouvelle cathédrale qui devait être l’un des plus beaux produits de l’art chrétien ogival en France. Lors de la dédicace qui en eut lieu en 1334, le chœur entier et le transept intérieur, le massif du grand portail avec sa porte de droite et la partie inférieure de la tour du sud étaient bâtis.

Depuis ce temps les documents font défaut pour suivre la marche des travaux. On sculptait l’imagerie du grand portail en 1397. En 1403, Eudes Gauthier, sculpteur sur bois, construit les portes du grand portail pour 60 écus d’or et un muids de vin (Le registre capitulaire qui rapporte ce fait ajoute que le portail était construit tout nouvellement: « In primo portail qui nune novum efficitur. » - Archives de I’Yonne).

Les sculptures de ces portes ont été rabotées en grande partie au XVIIIe siècle , mais on y reconnaît encore le style du temps. En 1415, l’évêque des Essarts jeta les fondements du portail nord du transept, pour la construction duquel le pape Jean XXII avait accordé des indulgences. Toutefois, cette partie de l’église ne fut achevée qu’au commencement du XVIe siècle.

Les fondements de la tour du nord du grand portail furent jetés à partir de l’an 1500, et celle du sud, qui avait été longtemps la seule, debout fut démolie et reconstruite en partie dans le style de l’autre. Mais les guerres de religion en arrêtèrent l’achèvement et la laissèrent dans le piteux état qu’elle présente aujourd’hui.

Description. La cathédrale est un monument du style ogival. On y trouve toutes les variétés de cette architecture, depuis l’élégante et simple ogive du XIIIe siècle et les formes un peu raides du XIVe, jusqu’aux compartiments contournés du flamboyant du XVIe siècle. Mais ces contrastes, qui ne présentent pas d’ailleurs à l’œil un aspect disgracieux, font d’autant mieux ressortir toute la beauté du chœur et du sanctuaire qui datent, comme nous l’avons dit du XIIIe siècle.

Le vaisseau forme trois nefs en croix latine avec déambulatoires autour du chœur et chapelle carrée au chevet, d’une hardiesse de construction sans égale. Voici les dimensions du vaisseau: longueur totale dans oeuvre 99m, largeur des nefs 44m70, longueur des transepts 38m80, hauteur sous clef des mêmes transepts 30m45. Le chœur et le sanctuaire ont 33m de longueur.

Les trois porches du grand portail sont couverts du haut en bas de sculptures, malheureusement mutilées par les Huguenots en 1567. Il y a là toute une épopée chrétienne comme on en trouve dans toutes les cathédrales. A la porte de gauche, par rapport au spectateur, sont les scènes de la création; sur le tympan, le couronnement de la Vierge; à la porte de droite sont des scènes de l’histoire de David et Bethsabée, et sur des consoles d’admirables statuettes bien dégradées par le temps et personnifiant les sciences et les arts; sur le tympan la vie de N. S. Jésus-Christ. A la porte centrale les sculptures se pressent en foule innombrable, tapissent les parois et remplissent la voussure. Au tympan est la scène du Jugement dernier, le Christ y préside. A sa droite, sur le pied droit, sont les vierges sages; à sa gauche les vierges folles; en continuant, à droite du Christ sur le soubassement est l’histoire de Joseph, à gauche les sujets bien dégradés, mais qui étaient admirables d’exécution, de l’Enfant prodigue. Au dessus du soubassement sont les prophètes inspirés par l’Esprit-Saint; les niches vides qui sont à la base de la voussure étaient remplies autrefois par les statues des apôtres, sculptées seulement, dit-on, en 1684. La voussure est tapissée de soixante-six scènes composées chacune de quatre à cinq personnages et présentant des sujets variés de l’Ancien et du Nouveau Testament. Cette composition n’est pas antérieure à la fin du XVe siècle.

Les étages supérieurs du grand portail, élevés au XVIe siècle, présentent les dispositions décoratives ordinaires. Des deux tours carrées qui devaient encadrer le pignon central celle de gauche a seule été élevée à la hauteur de 68m du sol. Sa masse imposante est décorée de niches à dais et de clochetons; celle de droite s’arrête au niveau du fronton central. Cette partie-ci est agencée avec élégance et couronnée par un pignon aigu à jour et portant des niches vides aujourd’hui.

les portails des transepts sont très beaux de composition. Leur vaste rosace centrale et les piliers qui les encadrent en font de véritables monuments. Le portail du sud est rempli sur son tympan de la légende du martyre de Saint-Etienne, entouré de trois cordons de statuettes de séraphins, d’anges et de prophètes. Le portail du nord reproduit en sujets bien dégradés l’histoire de saint Germain d’Auxerre.

Je terminerai la description de l’extérieur de la cathédrale en signalant la hardiesse de la solidité de la construction du chœur, chef d’œuvre d’un architecte inconnu du XIIIe siècle, qui a duré depuis sept cents ans. Les contreforts élancés qui soutiennent la poussée des voûtes et la balustrade du couronnement de cette partie de l’édifice sont ornés de pilastres épanouis en choux fleuronnés qu’à distance le vulgaire prendrait pour des espèces de fleurs de lis. Cela ne manqua pas en 93, et le Conseil général de la commune d’Auxerre, poussé par un de ses membres, qui voulait faire disparaître « du seul temple du culte catholique conservé les statues et effigies des prétendus saints, comme tendant à entretenir d’anciens préjugés, » invita les commissaires chargés de la régie de la paroisse Saint-Etienne « à faire enlever une foule de fleurs de lis qui existent au haut des augives (sic) de l’église, étant surpris de leur négligence à faire disparaître ces signes de féodalité. » (Archives de l’Yonne, Pièces historiques sur la Révolution.)

 

Vitraux. Des vitraux du XIIIe siècle, quoique un peu diminués depuis les guerres de religion, remplissent les verrières du chœur. Ceux du haut chœur représentent le Christ crucifié et dans sa gloire, ayant au-dessus de lui les figures allégoriques des sciences et des arts et des vices et des vertus. Il est accompagné de saints et de martyrs, grandes figures debout qui ont un air barbare. Ces vitraux ont été restaurés au XIXe siècle et l’on y a rétabli dans le style primitif la partie inférieure des fenêtres qui avait été refaite par J. Amyot après les dévastations des Huguenots. Ceux des bas-côtés sont très variés et composés de médaillons du XIIIe siècle représentant des sujets légendaires. Je citerai seulement au nord l’histoire de la création du monde, celle des temps qui suivent le déluge, la légende de sainte Marguerite et celle de Samson. Au sud est une verrière où sont des panneaux composés de sujets de l’apocalypse: on y remarque entre antres la Mort sur un cheval blanc, un bandeau sur les yeux et un poignard à la main, qui frappe sans discernement les humains. A côté, saint Eloi va brûler le nez du diable avec ses pinces rouges.

les trois portails sont également remplis de vitraux, mais qui datent du XVIe siècle. Au portail de l’ouest est un concert céleste, avec les patrons des chanoines fondateurs au soubassement; au portail du sud est l’histoire de Moïse, et à celui du nord, qui est très bien conservé, sont, dans le soubassement, les sujets de l’histoire de Joseph peints par Germain Michel en 1528, et dans la rose les litanies symboliques de la Vierge, peintes, en 1570, au frais de G. Damy, grand pénitencier, qui y est représenté à genoux.

Diverses autres parties de l’église ont encore conservé des vitraux, mais qui n’offrent qu’un intérêt secondaire.

Fresques. L’église Saint-Etienne possède encore dans diverses chapelles des peintures murales, telles que les huit sibylles et une scène de la Transfiguration dans la chapelle des orgues (XVIe siècle); les portraits des saints évêques d’Auxerre, dans la chapelle Saint-Sébastien (XVIe siècle), etc., etc.

Tombeaux. Les tombeaux, autrefois très nombreux dans le chœur, ont disparu lors de la prétendue restauration de cette partie de l’église au milieu du XVIIIe siècle.

On y voit encore, accroché au premier pilier de gauche du sanctuaire, le buste en marbre blanc de l’évêque J. Amyot. Sa tombe était placée de ce côté, et on lit dans l’Académie des Sciences et des Arts (Par Brillart, t. I, p. 169.) que le corps de l’évêque fut placé dans un tombeau de pierre vide, qu’on rencontra en creusant le sol devant le grand autel, lequel tombeau fut reconnu pour être celui de Mathilde, comtesse d’Auxerre. Le buste d’Amyot éprouva, en 93, le sort de tant d’autres monuments, et fut enlevé de dessus sa tombe et transporté dans la bibliothèque du département, sous prétexte qu’il gênait à la célébration des fêtes décadaires (Archives de la ville). C’est alors qu’on vit jusqu’où l’aberration peut pousser les hommes. Le culte de la déesse Raison avait remplacé celui de Dieu; le jour de la fête on vit un char, traîné par deux bœufs, entrer dans la cathédrale. Sur ce char était assise la déesse sous les traits de Mlle D... qui devint plus tard la femme du concierge de la prison. Elle monta sur l’autel de la Raison, placé dans le chœur actuel, dont on avait enlevé les marches pour y élever une haute pyramide, et la profanation s’accomplit!

En démolissant les marches, on trouva du côté gauche les cercueils de l’évêque Amyot et d’autres prélats. Leurs ossements furent rejetés pêle-mêle dans un trou creusé auprès du pilier près duquel on lit l’évangile.

Au pilier de droite du sanctuaire est un médaillon représentant le buste en marbre blanc de l’évêque Nicolas Colbert, mort en 1713. Dans la chapelle de la Vierge est le tombeau, rétabli en 1822, du sire Claude de Chastellux, vainqueur des Français à la bataille de Cravan en 1423, et de son prétendu frère Georges, soi-disant amiral de France, qui a pris probablement et mal à propos la place de Jean de Chastellux, fils de Claude, lequel avait fondé, en 1486, sa sépulture et celle de son père dans la cathédrale. Le Chapitre lui offrit à son choix une place « entre les deux piliers du chœur, au coin du grand autel, du cousté senestre où il y a à présent un grand treillis de fer, au-dessus de la sépulture de l’évêque Cassinel, ou devant l’autel Saint-Alexandre. » Il préféra ce dernier emplacement (Collection Gaignières).

Les débris mutilés du tombeau primitif ont été recueillis par Maximilien Quantin et déposés au musée de la ville.

Il existe encore dans l’église quelques belles dalles tumulaires à personnages du XIIe au XVe siècle. Des inscriptions lapidaires sont aussi répandues dans le pavage. Nous citerons celle du chanoine Lucenay, mort en 1667, qui est une suite de jeux de mots :

Godefridus de Lucenay,

de Luce natus,

qui, cum filius lucis nomine

fuisset nascendo,

patti luminum lucem emisit

moriendo :

Sic vita tenebris caruit,

quœ magis ac magis

in luce claruit ;

Lux perpetua luceat ei

qui canon, fuit ecelesiœ

et Beatoe-Marioe in civitate cantor

Obiit id. mart. anno

M. DCLXVII.

 

Et celle-ci, du doyen Fondriat, ancien professeur de philosophie à l’oratoire de Nantes, qui ne manque pas d’emphase:

Lege viator

et disce,

vin ter

quaterque magnus

hic jacet

D. Joannes de Foudriat,

………….

1661.

Ora u tin eterna pace

Sit lotus ejus.

Vale.

 

Travaux du XVIIIe siècle. Les amateurs estiment les grilles en fer forgé qui servent de clôture aux trois portes du chœur et des bas côtés. Elles ont été exécutées en 1767, par Dhumier, serrurier du roi à Paris Le grand autel est du même temps, et sa composition fut l’objet de longs débats dans le chapitre cathédral. Il est formé d’une table en marbre bleu de Gênes, ayant l’aspect d’un tombeau antique. Le retable en marbre blanc est peu élevé, et une boule de marbre de même couleur, surmontée d’une haute croix de cuivre, est placée au centre. Aux angles sont deux anges tenant des candélabres, et contre l’installation desquels M. Clément, autrefois trésorier et chanoine de la cathédrale, a toujours protesté, en ajoutant à sa signature, au bas des délibérations : « Sans approuver les anges. » Mgr de Cicé a consacré le grand autel en 1772.

En arrière, et appuyé contre les deux piliers du fond du sanctuaire, est l’autel dit des fériés ou de Saint-Etienne, autrefois l’autel de la comtesse Mathilde. Il est orné d’une bonne statue, en marbre blanc, de Saint-Etienne lapidé, et de bas-reliefs relatifs au même sujet, par Vassé, sculpteur. Toutes ces décorations ont été exécutées à grands frais, sur les dessins de Ledoux, architecte, auteur des anciennes barrières de Paris.

La crainte de déshonorer sa cathédrale préoccupait beaucoup le Chapitre : aussi, à part les décorations que nous venons d’énumérer, et la peinture cannelée des colonnes du sanctuaire, il ne commit pas trop de vandalisme. L’église échappa au badigeon. Cependant, beaucoup de monuments établis pendant le cours des siècles, et qui seraient peut-être très curieux aujourd’hui, ont disparu. Citons, entre autres, le jubé qui masquait, en effet, la vue du chœur, démoli en 1744; les portiques élevés contre les portes des bas côtés du chœur à une époque inconnue et qui contenaient des statues; enfin la statue colossale de saint Christophe, démolie en 1768, « ce qui fit murmurer le peuple, » dit le Journal de Verdun d’août 1768. Cette statue étrange et célèbre était bâtie à l’entrée de la cathédrale et appuyée contre le premier pilier de droite. Elle avait 29 pieds de haut et le bâton du saint 32; l’Enfant-Jésus, à califourchon sur les épaules du saint, tenait le globe dans sa main, Elle avait été construite de 1539 à 1551 par les soins de Jean Olivier, natif de Bar-sur-Seine, chanoine, et curé de Champlemy. C’était à ses pieds qu’on recevait les souverains A leur entrée dans la cathédrale, et Louis XIV dut notamment se souvenir longtemps de ce colossal personnage.

Tableaux. On place difficilement des tableaux dans les églises ogivales; aussi, à part quelques grandes pièces, on en remarque peu dans la cathédrale. Voici les principaux à l’autel saint Jean-Baptiste, le Baptême de ce saint par Lagrenée jeune; à l’autel opposé du transept sud, saint Michel terrassant le dragon, du même peintre; au-dessus des portes des transepts, l’Assomption de la Vierge et l’Apothéose de saint François de Sales; dans deux chapelles de la nef, une Annonciation et une Visitation de Mignard, et deux autres toiles de Restout, représentant une Assomption et un Martyre de saint Pélerin ; contre le mur du bas côté sud de la nef, quatre toiles représentant l’Histoire de Notre-Dame de Liesse, provenant de l’évêque de Broc (XVIIe siècle); enfin, dans la chapelle du Calvaire, sous les orgues, un Christ au tombeau, peint sur marbre à la manière italienne, morceau déjà bien dégradé.

Cryptes. Avant de quitter la cathédrale, n’oublions pas d’en visiter les cryptes souterraines qui occupent toute l’étendue du chœur et qui sont du caractère le plus imposant. Nous avons dit plus haut qu’elles étaient du XIe siècle. Elles forment une vaste église du style roman primitif, de 36 mètres de long sur 24 mètres de large, et se composent de cinq nefs à six travées dont les arcades à plein cintre sont supportées par des piliers cantonnés de quatre colonnes à chapiteaux cubiques. Le jour, qui pénètre dans ces catacombes par d’étroites baies, y répand une teinte sombre et mystérieuse.

Il y avait, au moyen-âge, une chapelle de la Trinité au fond des cryptes, à laquelle l’évêque .H. de Noyers attacha quatre chanoines. Cette chapelle, voûtée en berceau, est peinte à la voûte d’un Christ à cheval sur un cheval blanc, armé d’une verge de fer et accompagné de quatre anges également à cheval. Dans le cul-de-four, au-dessus de la place de l’autel, on a peint le Sauveur assis dans une gloire, entouré des quatre animaux symboliques et de deux chandeliers à sept branches ; ces peintures, qui sont très curieuses, datent du commencement du XIIe siècle et sont dues à l’évêque Humbaud.

Une chapelle, bâtie au XIIIe siècle, au côté sud des cryptes, avait reçu les corps des douze derniers chanoines de la cathédrale, morts depuis 1779. Ils étaient placés dans une espèce de Columbarium en briques, muré, avec inscription au-dessus de chaque arcade. Ces corps ont été transportés au cimetière public, en 1845, après la restauration des cryptes.

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