HÔTEL DE LA PRÉFECTURE |
Derrière le chevet de la cathédrale s’étend une masse irrégulière de bâtiments, où tous les styles d’architecture semblent s’être donné rendez-vous. On pourrait presque faire sur ce point un cours complet d’archéologie. A côté d’un pavillon en style pseudo-grec s’élève un vaste pignon ogival du XIIe siècle, contre lequel s’appuie une jolie petite façade du XVe siècle. Plus loin, tout à fait derrière l’église, est un morceau tout neuf, spécimen des constructions civiles du XIIe siècle, et en retournant sur l’autre face des bâtiments on trouve une galerie romane, et au pied du pignon ogival est le dur noyau de la muraille de la cité romaine. C’est là l’hôtel de la préfecture et l’ancien palais des évêques d’Auxerre. Lorsque, vers l’an 400, l’évêque saint Amatre eut obtenu d’un Auxerrois, appelé
Ruptilius, la cession de sa maison pour y
établir son église, qui jusqu’alors n’avait été qu’une humble
chapelle, fondée par saint Pèlerin dans la vallée, il voulut résider auprès
de sa cathédrale. Si l’on en croit certains auteurs, la demeure des évêques
a toujours dû être placée derrière le sanctuaire. Des circonstances
particulières ont dû modifier probablement cette règle, que l’on retrouve
toutefois assez constamment appliquée. L’évêché d’Auxerre s’y est
toujours conformé ; au moins dès le XIe siècle il est établi qu’il
existait immédiatement derrière le chevet de Saint-Étienne (Gesta
Pontificum, vie de l’évêque
H. de Montaigu.) L’histoire des bâtiments
antérieurs est peu connue et se résume par des destructions successives
causées
par les incendies, si fréquents dans les villes de bois du moyen-âge. Sous
l’évêque Hérifrid (881-909) on trouve la première mention de la ruine du
palais par le feu; Gaudry, l’un des successeurs de ce prélat, fait rebâtir
sa demeure (918-933). Depuis ce temps jusqu’à H. de Montaigu il n’est fait
aucune mention du palais. Ce prélat, qui siégea depuis 1115 jusqu’à 1136, commence la série
des constructeurs des bâtiments existants. Il fit d’abord rétablir la
chambre des évêques, fort endommagée par la chute de la flèche de la
chapelle Saint-Alexandre, élevée sur le chevet de la cathédrale. Cette
chambre occupait l’angle sud-est du bâtiment qui est au-dessus des bureaux ;
on y voyait, avant sa reconstruction, en 1846, des baies plein-cintre très étroites,
et sur les murs des peintures en détrempe figurant des évêques sous des arcs
ogivaux. Hugues de Montaigu donna ensuite à son palais plus d'étendue qu’il
n’en avait eu jusqu’alors, et le développa du côté de l’est. On lui
doit la curieuse galerie romane qui subsiste encore intacte sur le mur même de
la cité romaine. L’auteur de sa vie décrit en termes pompeux cette galerie
qu’il appelle des loges, « d'où, dit-il, on jouit d’une vue délicieuse
sur le fleuve et la campagne couverte de vignes et de champs cultivés. » Avant les grands changements qu’elle a éprouvés, cette galerie était
couverte d’une voûte cintrée en planchettes; on voyait ça et là sur les
murs des traces de peintures, et des anneaux pour servir à suspendre des
tapisseries. Un toit haut et en saillie sur le devant la couvrait et la protégea
jusqu’à nous contre les intempéries des saisons. Aussi sa colonnade
semble-t-elle posée d’hier. Dix-huit arcades plein cintre de 80 centimètres d’ouverture retombant
sur une série de colonnes alternativement simples et géminées, tantôt
lisses, tantôt annelées en creux, et de 4 m. 53 centimètres, base et tailloir
compris, forment cette colonnade. Le motif de décoration en est pris dans les
ornements du style roman et de l’imitation antique. Les chapiteaux sont munis
de volutes, de crochets, de bouquets de fleurs perlés. Le tailloir porte un
rang de perles et les arcades ont au dehors un cordon de pierres taillées à
facettes. A l’intérieur, les cintres sont bordés de denticules et accompagnés
au-dessus de l’archivolte d’un rang de têtes-plates; et la corniche est également
ornée de denticules. Des rosaces variées occupent le centre des espaces restés vides entre
les arcades. A chaque bout de la galerie sont placés des pilastres du même goût
que le reste, sauf qu’ils sont cannelés, et que la cannelure du centre est
remplie de têtes-plates. On en remarque du même genre à la tour de
Saint-Germain. Cette galerie fut longtemps le promenoir des évêques, et devint, dans
les derniers siècles, leur grande salle à manger. Les autres parties du palais qui renfermaient la salle synodale et les logements des officiers furent modifiées successivement. Hugues de Noyers (1183-1206) fit élever les caves à belles voûtes ogivales; il y avait au XVe siècle, sous la galerie romane des bureaux, un cellier où l’on plaçait le sel provenant du droit de salage que percevait l’évêque sur le grenier à sel d’Auxerre. ce cellier était sous la prison appelée la Chambre aux couestes. (B. 2577, an 1458, Arch. de la Côte d’Or.) qui se trouvent sous le pignon gothique, lequel est dû à Gui de Mello (1247-1269). Cette partie-ci mérite qu’on s’y arrête. C’est le morceau
capital du vieux palais. Ce vaste et double pignon regarde d’un côté la rivière
à l’est et de l’autre la cathédrale à l’ouest. Il est formé de trois
étages de 20 mètres 76 centimètres d’étendue sur 9 mètres de largeur. L’édifice présente sur ses deux faces une construction à trois étages,
percée, aux deux premiers, de quatre fenêtres ogives élégantes, et au troisième
de longues haies géminées. La salle d’en bas servait aux officiers et aux gens de l’évêque;
il y avait au fond à droite, où se trouve l’ouverture qui conduit aux
bureaux, une vaste cheminée, soutenue par des colonnes, dont les feuilles de trèfle
étaient peintes vert et rouge. On voyait encore, au début du XIXe siècle, deux
colonnes à demi-engagées dans le mur de la salle, qui donnaient une idée de
cette cheminée. A la pièce supérieure, la voûte en bois s’élevait à la
hauteur de l’ogive du troisième étage des fenêtres. C’était la salle
synodale, le lieu de réception du clergé et des grands vassaux de l’évêque.
L’aspect de cette pièce immense devait être imposant : c’est là que, lors
de la prise de possession de chaque évêque, les comtes d’Auxerre et les
premiers vassaux du Comté venaient faire foi et hommage au prélat, dont la
suzeraineté féodale était assise sur un grand nombre de terres données à
l’évêché par saint Germain, au Ve siècle. Elle sert maintenant. de grand
salon et de grande salle à manger. Plusieurs papes et plusieurs souverains de France ont habité l’évêché
:
Innocent II en 1131 ; Alexandre III en 1163; Charles VI, en 1412 ;
Louis XIII, en 1631; Louis XIV, qui y vint six fois; enfin Napoléon 1er, qui y
coucha le 16 mars 1815, à son
retour de 1’île d’Elbe, C’est là qu’il rencontra le maréchal Ney, qui
était accouru au-devant de lui et chez son frère, M. Ganiot, alors préfet de
l’Yonne. Sur le côté nord du pignon ogival, Gui de Mello ajouta une double
chapelle délicatement bâtie, et qui a été dénaturée par M. Séguier, puis
démolie. En 1836, ce côté de la préfecture a reçu de
grandes modifications. M. de Bondy, alors préfet, amateur des choses d’art, résolut
de restaurer le vieux palais et de le rendre plus habitable. Il enleva un massif
énorme de terre qui masquait tout le rez-de-chaussée et conduisait par une
pente à un perron élevé devant le premier étage. En même temps disparut un
long bâtiment du XIIIe siècle qui servait de communication avec la cathédrale.
La cicatrice ouverte à ce côté de l’hôtel fut bouchée par une jolie façade
de style français du commencement du XVIe siècle, composée par M. Piel,
architecte, qui n’a laissé que cette oeuvre (M. Piel est entré
dans l’ordre des Dominicains et est mort dans la maison du noviciat, en
Italie). Il y avait un chemin de voiture entre les bâtiments et la terrasse
pour arriver au jardin. La réaction en faveur du gothique avait trouvé en M. de Bondy un chaud
partisan; le vieux palais des évêques fut sauvé de la destruction dont il était
menacé par le projet dressé en 1824, et qui consistait en une suite de bâtiments
dans le style antique (Style toscan à la base et corinthien au 1er étage),
dont le large pavillon qui flanque au nord le pignon ogival n’était que le
commencement, et fut élevé sur les dessins de M. Leblanc, ingénieur des ponts
et chaussées. On doit se féliciter, au point de vue de l’histoire des arts, de la conservation des morceaux romans et gothiques de l’ancien évêché. Les adjonctions successives qu’elle a reçues depuis, telles que le bâtiment de style ogival des XIIe et XIII siècles, qui s’élève derrière la cathédrale et qui fut construit en 1846 par MM. Viollet-Leduc et Boivin, les distributions confortables faites par M. Haussmann, préfet en 1850, et ses successeurs, font aujourd’hui de la Préfecture une résidence convenable. Les appartements modernes de l’hôtel de la préfecture n’offrent
rien de particulier à signaler qu’on ne trouve dans tous les établissements
de ce genre. Nous citerons seulement dans la chambre d’honneur un beau médaillon
en marbre blanc, représentant le serpent d’airain. Il a du appartenir
à un Colbert dont il porte les armes. On rapporte qu’il provient de
l’ancienne chapelle du château de Régennes. Un autre médaillon du même
style, et qui faisait pendant au précédent, est dans l’église de Seignelay. Je mettrai encore au petit nombre des objets à signaler la porte de
l’hôtel qui s’ouvre sur le grand escalier: Ce morceau, dont presque tous
les panneaux sont de sculpture gothique de la fin du XVe siècle, fermait
l’entrée du passage de l’évêché à la cathédrale, derrière le chœur.
Il est aux armes de l’évêque Jean Baillet (1477-1513). M. de Bondy fit restaurer cette porte et l’adapta à sa nouvelle
destination. Il fit placer derrière cette inscription, qui rappelle les travaux
de restauration de la Préfecture, en même temps que l’origine de la porte : Me conspicuam issignisque
suis distictam poserat, Reverendissimuss Johannes Baillet, Autissiodorensis ecclesiœ episcopus, Ut pet me clauderatur via particuloe quoe tunc a palatio proesulis ad basilicum ducebat. Conversa rerum serie, cum inanis jacebam et despecta, Franciscus-Maria
Taillepied, comes de Bondy, Ycaunensis Provinciœ proefectus, Vir omni doctrina liberali politus, Hic me insigniter restituit, monumentum sacri temporis, Domusque jussu suo reedificatoe aditus ornamentum Anno Domini M. D. CCCXXXVI |
Dépendances de la Préfecture. L’entrée de l’hôtel n’était pas autrefois où elle est
aujourd’hui, mais bien sous un haut pignon d’ardoises élevé à gauche, et
dont la façade se voit dans la rue Cochois. Le bâtiment du
concierge
était occupé, en haut, par le chanoine administrateur des biens de l’évêché,
et par l’officialité. A la suite étaient au XVIIIe siècle les écuries de
l’évêque, et au-dessus les appartements où logeaient les prédicateurs que
l’évêque invitait à prêcher l’Avent et le Carême. De 1790 à l’an II, l’administration du district y tint ses séances
pendant que celle du département s’établit dans les bâtiments principaux de
l’évêché, qui fut acheté alors pour cette destination. E. de la Bergerie,
premier préfet de l’Yonne, y habita ensuite. Les archives y ont été établies en 1835. Le portail de l’entrée actuelle de l’hôtel s’ouvre sur la place
de la préfecture depuis 1809. Quoique lourd, il a un certain caractère. Le mur
d’enceinte, qui fermait complètement l’évêché autrefois, du côté de
la rue Cochois, a plusieurs pieds d’épaisseur. Le jardin de l’hôtel
n’offre rien de particulier, si ce n’est une longue et haute terrasse, établie
par l’évêque Séguier (1636) sur le bord du quai, d’où l’on jouit
d’une vue agréable sur la rivière et la vallée de l’Yonne. Le mur de la
cité sur lequel s’alignent les édifices de la Préfecture servait auparavant
de clôture à l’évêché de ce côté. |
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