GUILLAUME
DE SEIGNELAY (1207-1220) |
Guillaume de Seignelay et son frère Manassès, de la famille des barons
de Seignelay, alliée du côté des femmes à celle de saint Bernard,
furent célèbres par leur vive et constante amitié L’un et l’autre
étaient fils de Bouchard, seigneur de Seignelay, et d’Eléonore, fille
d’André, seigneur de Montbard. Répondant aux désirs de leur pieuse mère;
ils se consacrèrent au service des autels : Guillaume devint trésorier,
et archidiacre de Provin à Sens, chanoine de Cambrai, et Manassès,
archidiacre de la métropole de Sens. A la mort de Michel de Corbeil, tous
deux refusèrent l’archevêché de cette ville qui leur fût
successivement offert. Ils vivaient ensemble, unissaient leurs lumières
et leurs vertus; et bien que d’un caractère différent, ils parurent
toute leur vie n’avoir qu’une seule volonté. En 1194, Guillaume fut élu doyen du chapitre d’Auxerre, où son frère
le rejoignit bientôt avec le titre d’archidiacre de cette même église.
Ce fut un admirable spectacle de voir la lutte de modestie qui s’établit
entre eux, lorsqu’on désigna Manassès pour succéder à Hugues de
Noyers. Chacun d’eux se jugeait indigne et suppliait avec larmes qu’on
lui préférât son frère. Enfin Pierre de Corbeil, archevêque de Sens
intervint, Manassès persista dans son refus, et Guillaume fut contraint
d’accepter. L’élection eut lieu, en 1207, le vendredi 9 février, et fut bientôt confirmée par l’archevêque. Le sacre se fit immédiatement, mais le nouvel évêque ne prit possession de son siége que deux ans après, porté le jour de son entrée solennelle par les quatre barons feudataires de l’évêché. La même année, Manassès fut à son tour sacré évêque d’Orléans, et, en 1209, tous deux ayant été mandés par le roi Philippe-Auguste pour une expédition militaire sur les côtes de Bretagne, partirent avec leurs vassaux jusqu’à Mantes. Là, n’ayant point trouvé le monarque, ils revinrent sur leurs pas en disant qu’ils n’étaient obligés à la guerre que lorsque le roi commandait en personne. Un conflit s’éleva. Philippe fit saisir leur temporel, tandis que les deux évêques mirent en interdit les terres qu’il possédait dans leurs diocèses, et excommunièrent ses officiers. L’affaire fut enfin portée au pape et la paix se rétablit, au mois d’avril 1211, à la condition formelle que désormais les évêques seraient dispensés de se trouver personnellement à l’armée. Rentrés en grâce, Guillaume et Manassès exercèrent puissamment leur
zèle contre les Albigeois, et pendant le voyage qu’ils firent dans le
Languedoc, en 1213. Pierre de Vaux-de-Cernay, écrivain de l’époque,
donne de grands témoignages à leurs vertus, et les appelle les deux
principales lumières de l’église de France. A la tête de quelques
troupes, ils rejoignirent Simon de Montfort sous les murs du château de
Fanjaux., près de Carcassonne. Ils le servirent bien, dit l’historien
de la croisade, demeurant inséparablement à ses côtés dans les
occasions les plus périlleuses, animant les soldats par l’argent
qu’ils répandaient, réparant les pertes par celui qu’ils
fournissaient pour le rachat des prisonniers, soutenant, sur tout le
reste, le caractère de deux saints évêques. La vénération et
l’amitié que Simon de Montfort conçut pour eux, le portèrent à leur
demander, comme une grâce, de recevoir et d’armer chevalier Amaury, son
fils aîné. Les deux prélats s’en défendirent d’abord, puis
acquiescèrent à la demande du chef de l’expédition, et le 21juin
1213, pendant la messe célébrée au milieu d’une plaine, sous les murs
de Castelnaudary, ils ceignirent l’épée au jeune Amaury et lui firent
chausser les éperons . Toute singulière que tût cette manière de créer
un chevalier parmi la noblesse, la piété qui l’accompagnait la rendait
alors respectable aux yeux de tous. De retour dans son diocèse, Guillaume, à qui Pierre de Courtenay,
comte d’Auxerre, à son départ pour Constantinople, en 1216, avait
confié l’administration de son comté, y acheva de pacifier quelques
troubles excités par Hugues de Noyers, son prédécesseur, au sujet de
certains droits temporels, et publia cette même année des statuts
synodaux en sept articles. Il fonda, en 1210, l’abbaye des îles pour
des religieuses cisterciennes; commença, sur un plan nouveau, à rebâtir
le palais épiscopal, et, sur les ruines de l’ancienne cathédrale, la
cathédrale actuelle, dédiée à saint Etienne, l’un des plus beaux
monuments gothiques qui soient en France. Guillaume de Seignelay prit part., comme évêque d’Auxerre, à divers
autres actes que nous ne pouvons passer sous silence. Presqu’aussitôt
après son intronisation, il avait écrit au roi Philippe-Auguste pour lui
demander la restitution des fruits perçus sur le temporel de l’évêché
pendant la régale et le redressement de certaines extorsions faites alors
par ses officiers ou sergents. Le roi écouta ses plaintes, lui donna
main-levée pour les sommes dues à son prédécesseur, et lui fit
restituer toutes celles qui avaient été indûment perçues. Enfin,
Guillaume obtint de ce prince le privilège de la régale, c’est-à-dire
que le roi ou ses officiers ne se mêleraient plus de la régie du revenu
de l’évêché, le siége vacant, mais que ce serait le chapitre qui
gouvernerait cette temporalité, en en réservant les fruits pour l’évêque
futur. Innocent III lui confirma ces droits par une bulle du 18 janvier
1208. Pierre de Courtenay, qui s’était excusé de. ne pouvoir assister
à l’entrée de Guillaume, lui en donna une reconnaissance en 1207. Le
11 juillet de cette année, l’évêque d’Auxerre se trouva à
l’abbaye de Fleury-sur-Loire à la translation des reliques de saint
Benoît. Peu après, il augmenta les revenus des prébendes de l’écolâtre
et du lecteur, dont, avec le consentement de l’archidiacre, Innocent III
lui accorda la collation par une bulle du 1er février 1208. A cette époque,
Guillaume empêcha par voie judiciaire l’abbesse de Saint-Julien de
faire avancer les tanneries qu’elle possédait au-dessus du pont de l’Yonne,
dans les autres endroits de la rivière qui appartenaient à l’évêché
et d’en rétrécir le lit. Manassès de Seignelay, évêque d’Orléans,
termina cette procédure qui avait été soumise à sa décision. Par une ordonnance du 20 février 1209, Guillaume prenant en considération
l’accroissement de la population de la Charité, divisa en trois
paroisses la paroisse unique de cette ville, et le 10 février 1210, il reçut
l’hommage de Pierre, comte d’Auxerre, pour le fief de Mailly et de
Bitry. Un différend qu’il eut avec Gautier, évêque d’Autun,
relativement à la chapelle de Bethléem, à Clamecy et aux droits
paroissiaux de ce bourg, fut terminé en faveur de l’évêque d’Auxerre
par une décision arbitrale du 29 octobre 1211. Fort soucieux de tout ce
qui pouvait contribuer à rendre les chanoines plus assidus à l’office
divin, il leur donna, en février 1212, pendant la vacance de la cure de
Cravant, ce qui leur manquait pour posséder la dîme entière de ce lieu,
soit en blé, soit en vin, à condition de l’employer à faire du pain
qui serait distribué à ceux qui assisteraient aux offices marqués.
Cette même année, Guillaume fonda, dans l’église de Saint-Laurent de
Cosne, une collégiale à laquelle il donna l’église paroissiale de
Nuzy. L’année suivante, il assigna au lecteur et au sous-chantre les
revenus entiers d’une prébende, et l’archidiacre Hugues lui concéda
l’institution de l’office de lecteur. Il érigea aussi en paroisse la
chapelle du château de Bitry, assigna des revenus aux chanoines fondés
par son prédécesseur dans la chapelle épiscopale de la cathédrale et
confirma la fondation de la collégiale de Notre-Dame à Toucy. Après
avoir, en 1214, réconcilié le chantre de Varzy avec Elisabeth, abbesse
de Crisenon, qui lui disputait quelques droits, Guillaume, grâce. à
l’entremise de son frère Manassès, reçut au mois d’août
l’hommage que le comte de Nevers lui avait jusqu’alors refusé pour la
forteresse de Murat. Thibaud, comte de Champagne, lui rendit également
hommage au mois d’octobre suivant. Ce fut à cette époque que, par délégation
du Souverain-Pontife, il fit pour l’église de Bourges, avec son frère
Manassès, divers règlements qu’on trouve dans l’Amplissima collectio
du P. Labbe, tome VII, col. 1422. La même collection (tome VIII, col.
1563) renferme également divers règlements que Guillaume dressa, en
1215, pour la collégiale de Gien. En 1214, Guillaume de Seignelay
approuva l’aumône que Pierre de Courtenay, comte d’Auxerre, et
Yolande, sa femme, avaient faite au chapitre cathédral pour leur
anniversaire, et en juillet 1215, reçut l’hommage de ce seigneur. Au
mois d’août suivant, il confirma au chapitre son droit de patronage sur
douze églises, et en mars 1216, approuva une décision, du comte Pierre,
qui confiait pour six ans la garde de la ville aux bourgeois, sous la
condition d’une rente annuelle. Le jeudi, 9 avril 1245, Hervé, évêque
de Troyes, Hélie, abbé de Sainte-Colombe de Sens, et Vital, abbé d’Escharlis,
jugeant comme arbitres, décidèrent que l’abbé et le monastère de
Saint-Germain devaient obéir à l’évêque d’Auxerre, quant au fait
de la visite et de la correction de l’abbaye. En conséquence, l’abbé
Guillaume promit obéissance et soumission à Guillaume de Seignelay, qui,
cette même année, reçut l’hommage d’Yolande, comtesse d’Auxerre,
pour les châteaux de Mailly, de Coulanges et de Bitry. Après avoir
assisté, en 1218, à la translation des reliques de saint Savinien et de
saint Potentien, à Sens, il confirma la fondation du prieuré de
Notre-Dame de Boticen, près de Saint-Sauveur en Puisaye, et celle de
l’hôtel-Dieu d’Appoigny qu’il dota en 1219 et 1220, et auquel il
donna la terre de Brenches, qu’il avait achetée des religieux de la
Charité. Il avait déjà avancé les travaux de sa cathédrale, lorsqu’en vertu
de la sainte obéissance, il dut passer au siège épiscopal de Paris, ou
le pape Honorius l’avait transféré de sa propre autorité par bulles
du 26 février 1220. Cette translation est la première que nous
remarquions. Guillaume prit possession de son nouveau siège cette même
année. L’aunée suivante (28 septembre 1221), il eut la douleur de perdre son
frère Manassès. Guillaume
de Seignelay se montra aussi ferme à Paris qu’à Auxerre sur les droits
ou les privilèges de son Église. Il ne craignit même pas de soulever de
nouveau avec le roi des discussions que ses prédécesseurs avaient préféré
laisser tomber, pour ne pas s’exposer au courroux d’un si redoutable
adversaire. Toutefois, Philippe-Auguste ne s’offensa point des procédés
du prélat, et, convaincu de la justice de ses demandes, il se condamna généreusement
à le dédommager, lui et son chapitre, par un revenu annuel équivalent
aux cessions qu’il en exigeait. L’acte d’accord que l’évêque et
le roi firent à cet égard fut signé à Melun, en janvier 1223. C’est
un document fort important pour l’état des juridictions à cette époque. Guillaume ne survécut pas longtemps à son frère Manassès : le
chagrin qu’il éprouva d’avoir été transféré malgré lui au siège
épiscopal de Paris abrégea ses jours. Comme son frère, il mourut à
Saint-Cloud, d’une fièvre quarte, le 23 novembre 1223. Suivant son désir,
son corps fut porté à l’abbaye de Pontigny, où on l’inhuma dans la
chapelle de Saint-Thomas de Cantorbéry. Quelques historiens et la Biographie générale de MM. Didot le disent,
auteur d’un ouvrage qui n’a pas été imprimé et qui a pour titre
Summa de Divinis Officiis; traité où l’on reconnaît les rites de l’église
de Paris au moyen Age. Mais ce travail est d’un autre Guillaume d’Auxerre,
contemporain de Guillaume de Seignelay et auteur d’une Somme Théologique
ou quatre livres, imprimée à Paris, en 1500 et 1518, in-folio, et à
Venise, 1591, in-folio. Ce Guillaume d’Auxerre, après avoir professé
avec un grand succès la théologie à Paris, fut pourvu d’un
archidiaconat dans la cathédrale de Beauvais, et mourut le 3 novembre
1230 à Rome, où il avait accompagné Milon de Châtillon, son évêque.
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