HUGUES IV DE NOYERS (1183 - 1206)

 Quoique Guillaume de Toucy eut recommandé avec grand soin aux chanoines d’Auxerre d’entretenir la paix après son décès, et de s’unir pour l’élection de son successeur; les choses ne se passèrent pas cependant avec la tranquillité désirable. L’élection excita de grands troubles qui durèrent longtemps et causèrent beaucoup de dommages à l’église.

Les chanoines, assemblés en 1181, choisirent d’abord pour évêque, Garmond Clément, depuis peu abbé de Pontigny, à la sollicitation de son frère Gilles, premier ministre du royaume. C’est sans doute la raison pour laquelle Garmond est dit évêque élu d’Auxerre, dans une sentence rendue à Poitiers le 1er avril 1182, par Henri de Château-Marçay, évêque d’Albane et légat du Saint-Siége, relativement à l’église de Notre-Dame de Soulac que se disputaient les abbés de Sainte-Croix de Bordeaux et de Saint­Sever. Garmond était alors l’un des deux conseillers du légat. Quelques dignitaires de l’église d’Auxerre s’étant opposés à cette élection, l’élu et ses adversaires allèrent à Rome où l’affaire traîna en longueur ; mais Garmond y mourut de la peste, le 15 novembre 1182 ; et son frère Gilles tomba dans la disgrâce du roi. A cette nouvelle, les chanoines jetèrent les yeux sur le trésorier de leur église , Hugues de Noyers, fils de Milon, seigneur de Noyers, au diocèse de Langres, et d’Odeline, dame de la Gesse, fille de Clarembaud, seigneur de Chappes, au diocèse de Troyes. Cette nouvelle élection eut lieu le 5 janvier 1183, et Hugues fut sacré, le 13 mars suivant, par Gui de Noyers, archevêque de Sens, son grand-oncle. Il fit peu après son entrée solennelle avec les formalités ordinaires de la part des quatre barons feudataires de l’évêché, au nombre desquels se trouva Hervé de Donzy.

Pour le temps où il vivait, ce prélat était éloquent, adroit, de bon conseil, d’une grande science et d’un extérieur très distingué; mais il était plus remarquable encore par son activité et l’énergie de son caractère. Son zèle pour la pureté de la foi et la conservation des droits de son Église lui fit quelquefois commettre des actes de trop grande rigueur, peu en harmonie avec la mansuétude évangélique. Nous n’en citerons qu’un exemple. Pierre de Courtenay, comte d’Auxerre, usait de mauvais traitements envers les membres du clergé. Pendant près de quinze ans, les églises de la ville avaient été mises en interdit, pour châtier les méfaits du comte. Pierre de Courçon, vicomte d’Auxerre et réputé le conseiller de toute la conduite de Pierre de Courtenay, ayant été remercié de ses services par celui-ci, l’évêque profita de cette occasion pour le faire arrêter et promener dans une charrette par les rues de la ville où le pauvre disgracié essuya à loisir toutes les huées du peuple. L’historien qui rapporte ce fait, ajoute : Licet forte in hoc ab evangelicae religionis mansuetudine exorbitasse visus fuerit episcopus.

Hugues purgea son diocèse de la secte des Albigeois et de celle des Caputiés (Caputiati) avec tant de vigueur, qu’on le sur­nomma le marteau des hérétiques (1); mais, malgré la vie simple qu’il menait dans sa maison, le train de grand seigneur qu’il tenait au dehors, donna plus d’une fois lieu aux fidèles de se plaindre des dépenses énormes qu’il occasionnait aux églises et aux monastères de son diocèse. Cependant, sous le rapport du temporel de son évêché, il fut plus heureux. Il fit exhausser et fortifier le château de Régennes dans la terre d’Appoigny : il transforma en une maison de plaisance tout à fait princière le château de Beauretour, situé à Charbuy, dans un pays maréca­geux et boisé. Ce que ses prédécesseurs avaient fait bâtir à Cosne et à Toucy, ne lui parut point digne de la munificence épiscopale, et il y construisit de vrais palais. Varzy qui, auparavant, était exposé aux incursions des brigands, devint un endroit très sur, entouré de fossés et de tours : il fit rebâtir à neuf, auprès de l’église collégiale de Sainte-Eugénie, une maison épiscopale ayant des tours et les autres marques de seigneurie; quant au château qui était plus éloigné, il le mit en état de résister à tous les assauts, et , en détournant le cours de la fontaine qui jaillit sous l’église, il procura de l’eau pour le poisson des fossés creusés autour de cette maison, sans nuire aux moulins qu’il avait fait construire dans le même lieu.

Les avantages obtenus par Hugues de Noyers dans le rapport temporel le rendirent plus entreprenant pour les propres affaires de sa famille. Noyers, qui était une terre de son patrimoine sur la rivière du Serein, à sept lieues d’Auxerre et au diocèse de Langres, fut l’objet de ses plus grandes dépenses. S’étant chargé de la tutelle de Milon, fils de son frère Clarembaud, il employa tout le temps de la minorité de ce neveu à rebâtir le château de ses ancêtres. Quoique la situation de ce château qui est sur une éminence fût assez avantageuse, il n’épargna rien pour le mettre en état de défense contre les insultes des ennemis, de manière que ni les ducs de Bourgogne, ni les autres princes ou seigneurs du voisinage ne purent le prendre, et Hugues, au contraire, vint toujours à bout de les repousser; et pour prouver qu’en tout il ne dissipait point le patrimoine de son neveu, il lui acheta une terre à une lieue d’Auxerre, appelée Vallan, qui lui coûta une somme considérable.

Il ne faut point penser de ce qui précède que Hugues n’ait rien fait pour sa cathédrale: il lui donna deux parements de soie très précieux, qu’on surnomma l’ornement de la Mirandole. Son dessein était de faire couvrir de feuilles d’argent le crucifix situé à l’entrée du chœur; il avait promis d’y consacrer une somme de trente marcs d’argent, et de laisser une croix d’or de trente deux marcs; mais la mort l’empêcha d’exécuter en son entier tout ce qu’il s’était proposé. Il donna cependant à son chapitre des dîmes qu’il avait à Oisy, tant en blé qu’en vin, et outre cela cent sous à prendre sur l’église de Saint-Bris. Ce fut aussi lui qui éleva, en 1186, les fêtes de saint Pélerin et de saint Thomas de Cantorbéry au rang des fêtes solennelles; il assigna, à cet effet, des rentes sur l’église de Mézilles. Il fonda les obits de son cousin Daimbert de Pierre-Pertuis et de Gui son parent, donnant pour le premier trente sous de rente sur les églises de Sementron et de Lain, avec la remise des parêtes ou parates des églises d’Oisy et de Lindry, et, pour le second, quarante sous à prendre sur l’église de Vermenton. On le regarde aussi comme le fondateur, en 1206, des chanoines de la Trinité dont les biens furent réunis plus tard au chapitre. Il marqua sa dévotion à la sainte Vierge en augmentant le nombre des chanoines de la collégiale de son nom, aussi bien que le revenu et l’édifice de l’église. Mais le chapitre de Varzy fut celui auquel il témoigna le plus d’amitié, après celui de la cathédrale. il laissa à ces derniers chanoines sa bibliothèque, ses ornements pontificaux et plusieurs autres legs. Hugues de Noyers est aussi le premier fondateur du chapitre de Toucy, à qui il octroya les deux églises de Notre-Dame et de Saint-Pierre, exemptes de toutes charges, excepté du droit de parate (2). il faut ajouter à ces pieux établissements celui de l’hôpital d’Appoigny, dont Guillaume de Seignelay fut le bienfaiteur.

Sous le pontificat de Hugues de Noyers, l’étude du droit canonique fut plus cultivée qu’auparavant, et donna aux esprits plus d’ouverture pour la chicane. Aussi, fut-ce à cette époque que s’élevèrent les premières difficultés touchant certaines juridictions, celle entre autres qui regardait le maître de l’hôtel-Dieu d’Auxerre. C’est en 1187 qu’elle commença. Le doyen, Guillaume de Seignelay, établit alors sa juridiction sur les pa­roisses d’Auxerre et résista vigoureusement à l’évêque. Ce même doyen attaqua aussi le prélat qui, après avoir ordonné de couper des arbres dans la forêt de la Biche, les avait fait conduire à Régennes avec le consentement de la plupart des chanoines. Hugues, condamné par une sentence de la cour métropolitaine de Sens, rendit les arbres au chapitre et les fit reconduire à ses dépens devant la porte de la cathédrale. L’évêque d’Auxerre eut aussi quelques démêlés avec l’abbaye de Saint-Germain; voici en quelle circonstance. Comme il menait grand train partout où il allait, il n’avait pas moins de quatre-vingts chevaux quand il visitait les églises de son diocèse, et, à son exemple, l’archi-diacre en avait une douzaine, en pareil cas. Humbaud , abbé de Saint-Germain, se plaignit à Urbain III de ces excès qui entraînaient d’énormes dépenses, et le pape statua, par un bref donné à Vérone en 1186, que l’on observerait à ce sujet les décrets du concile de Latran. Raoul, successeur de Humbaud, fatigué du luxe de Hugues, secoua son joug et obtint de CéIestin III, en 1193, que l’archevêque de Sens fût désormais le juge ordinaire de son couvent. Elvisa, abbesse de Saint-Julien, et ses religieuses, se plaignirent aussi à Célestin III, en 1196, notamment de ce que Hugues avait refusé de conférer la cure de Coulanges­la-Vineuse à Guillaume de Saint-Bris qu’elles lui avaient présenté. L’archevêque de Sens et l’évêque de Noyers furent commis pour examiner ces plaintes, et ils portèrent une sentence contre Hugues de Noyers qui ne s’y soumit qu’en 1198.

L’évêque d’Auxerre fut toujours en excellents termes avec le roi Philippe-Auguste. Son affection pour ce monarque alla si loin, qu’il se brouilla avec les autres prélats et même avec le pape, en désobéissant au concile tenu à Dijon en 1197, qui avait mis le royaume en interdit et excommunié Philippe-Auguste à cause de la répudiation que celui-ci avait faite d’Ingelburge, sa légitime épouse. Il refusa de faire observer l’interdit et préféra ne jamais parvenir à aucune dignité ecclésiastique supérieure, plutôt que de perdre les bonnes grâces du roi. Aussi, après la mort de Michel de Corbeil, archevêque de Sens, arrivée le 29 décembre 1199, quoiqu’il eût tous les suffrages des chanoines pour lui succéder, l’élection fut sans effet, parce que le pape Innocent III s’y opposa et mit à sa place Pierre de Corbeil, son ancien professeur. On voit cependant que le Souverain-Pontife donna des marques de son estime à Hugues de Noyers, en le chargeant, avec l’abbé de Perseigne et un chanoine de Nevers, de donner un archevêque à l’église de Reims et de le faire sacrer par les suffragants, dans le cas où les chanoines de Reims ne procéderaient point à une élection , un mois après la réception de la bulle.

Hugues de Noyers prit part à beaucoup d’autres actes on le voit, en 1189, recevoir le serment de la veuve de Hugues de Lorme, et se trouver présent lorsque Clarembaud, son frère, avant de partir pour Jérusalem, concéda plusieurs privilèges ou biens à l’abbaye de Pontigny. En 1198, c’est lui qui, en vertu des pouvoirs du chapitre, administra tant au temporel qu’au spirituel le diocèse de Langres, et fut assez heureux pour y amener l’élection d’Hilduin. En 1204, il obtint que les Juifs fussent chassés d’Auxerre, et sur les débris de leur synagogue, s’éleva une petite église qu’on appela Saint-Nicolas et Saint-Regnobert.

Enfin, la vie active de l’évêque d’Auxerre se termina par un second voyage qu’il fit à Rome pour s’opposer à l’abbé de Saint-Germain qui, non content de s’être soustrait à son obéissance, réclamait encore le droit de porter l’anneau et la mitre. Le pape le reçut avec les honneurs convenables; mais, au bout de dix jours, Hugues fut attaqué d’une grave maladie qui le conduisit au tombeau le 29 novembre 1206. Ses funérailles furent faites dans l’église Constantinienne contiguë à Saint-Jean-de-Latran, le 6 décembre 1206, en présence du Souverain-Pontife et des cardinaux, et son corps fut mis dans un mausolée de marbre.

Hugues avait composé quelques ouvrages, mais comme il ne pouvait se résoudre à les retoucher, ce qui parut avoir quelque réputation pendant sa vie, tomba dans l’oubli après sa mort. L’abbé Lebeuf le croit notamment auteur de certaines proses ou séquences des anciens graduels de l’Église d’Auxerre, de quelques hymnes et de quelques antiennes rimées suivant le goût de son époque.  

Hugues de Noyers avait pour armoiries: d’azur, à l’aigle d’or.

 

 

  (1)  Les Caputiès, ainsi nommés des capuchons ou chaperons blancs qui les distinguaient et leur servaient de signe de ralliement, formaient une secte qui soutenait que tous les hommes devaient être d’égale condition.

(2) Le droit de parate ou parète (jus mensae paratae) était celui qu’avait l’évêque de prendre son repas chez le curé.

Évêque précédent

Retour à la liste des évêques

Évêque suivant

Retour au sommaire