LE VÉNÉRABLE ALAIN (1152-1167)

 Saint Bernard nous apprend la situation où se trouva l’Eglise d’Auxerre après la mort du précédent évêque. Comme on voulait procéder à, l’élection de son successeur, le neveu de Hugues s’y opposa, protestant d’une appellation dans le cas où l’on passerait outre, jusqu’à ce qu’il fût revenu de Rome, où il voulait aller pour obtenir la confirmation de sa prévôté et de ses autres bénéfices. Le clergé, n’ayant pas jugé à propos d’y déférer, élut, à la pluralité des voix, une personne que saint Bernard ne nomme point. Le neveu de l’évêque mît alors son appel à l’écart, et fit faire, trois jours après, une seconde élection. Le chanoine Etienne, chantre de l’église et l’archidiacre, y procédèrent avec un prêtre appelé Hugues, qui la scella du sceau officiel qu’il avait entre les mains. Le doyen de Saint-Père, et le prieur de Saint-Eusèbe, tant pour eux que pour l’abbé de Saint-Laurent, se disposaient à se rendre à Rome pour faire valider la première élection, mais par ses menaces, Guillaume, comte de Nevers, sut empêcher leur départ. Ce seigneur avait été poussé à cette démarche par ceux qui, dans la seconde élection, avaient donné leurs suffrages à un certain Geoffroi, qui, peut-être, était le prieur de Clairvaux de ce nom, frère de Hugues le chancelier.

il y eut alors grande division dans l’Eglise d’Auxerre, mais, grâce à saint Bernard, le pape nomma trois commissaires ayant pleins pouvoirs de choisir le prélat qu’ils jugeraient à propos. Ceux-ci furent obligés de procéder à une troisième élection à laquelle saint Bernard assista. Toutes les voix se portèrent sur Alain, abbé de la Rivour et originaire de Lille en Flandre. Louis le Gros demeura longtemps sans vouloir ratifier ce choix, et l’on pense qu’il ne fut sacré que le 30 novembre 1152.

Quoi qu’il en soit de l’époque précise de l’ordination d’Alain, ce savant homme avait reçu de bonne heure l’habit religieux à Clairvaux, des mains de saint Bernard qui, en 1139, l’avait choisi pour être le premier abbé de la Rivour au diocèse de Troyes. Il y avait peu de temps qu’il était évêque d’Auxerre, lorsqu’il fut présent à l’assemblée tenue à Moret par le roi Louis le Jeune, et y fut témoin du jugement par lequel ce monarque faisait rentrer Godefroi, évêque de Langres, en possessionn de ce que Hugues, duc de bourgogne, lui avait enlevé.

L’abbaye de Saint-Germain fut l’un des premiers objets de sa sollicitude. Sous le prédécesseur d’Alain, Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, s’était plaint au pape Eugène III, de ce qu’un nommé Ardouin avait été élu abbé de Saint-Germain sans son aveu, et de ce que ni celui-ci, ni ses religieux ne voulaient le reconnaître pour leur supérieur en fait de gouvernement monastique. Il prétendait que l’évêque diocésain avait connivé, dans le but d’affermir son autorité sur l’abbaye et sur les moines. Devenu évêque, Alain fit à son tour des plaintes au pape Anastase IV, contre les usurpations que l’abbé de Cluny faisait sur son autorité épiscopale, et en obtint, le 25 avril 1154, une bulle en vertu de laquelle il était confirmé dans tous ses droits sur l’abbé de Saint-Germain. « A l’exemple d’Eugène son prédécesseur, dit Anastase, il veut que l’évêque d’Auxerre confirme ou infirme l’élection de l’abbé; que ce soit lui qui le bénisse; que l’abbé lui prête serment d’obéissance, que l’évêque puisse déposer l’abbé s’il le mérite, le corriger suivant les lois canoniques aussi bien que ses moines; que le monastère prenne les Saintes-Huiles et le Saint-Chrême de l’évêque d’Auxerre; que ce soit lui qui bénisse ou qui consacre leurs autels et leurs églises, et qui leur confère les ordres; que si l’abbé de Cluny a donné le bâton abbatial à l’abbé de Saint-Germain, il entend que cela ne puisse porter aucun préjudice à l’évêque ni à l’Eglise d’Auxerre, et fait défense qu’à l’avenir l’abbé reçoive le bâton des mains de l’abbé de Cluny. »

Les religieux de Saint-Marien, de la Charité et de plusieurs autres établissements se ressentirent des libéralités d’Alain. Si ce prélat aimait à être utile aux monastères, on peut dire qu’il n’eût pas une moindre bienveillance envers son église cathédrale. Le chapitre désirait depuis longtemps avec ardeur que la dignité de prévôt fut supprimée; Hugues de Montaigu l’avait réunie à la mense, mais cette réunion n’avait pas été mise à exécution. Alain procéda à cet acte avec beaucoup de solennité; il déclara l’office de prévôt réuni à perpétuité à la mense du cha­pitre aussitôt après la mort de Gui qui le possédait, ou bien s’il venait à se faire religieux, on à être revêtu de quelque autre dignité. Cette réunion fut faite en chapitre par l’imposition du livre des Évangiles sur l’autel de Saint-Etienne, destiné dans le même lieu pour ces sortes de cérémonies. Ascelin, abbé de Regny, et Jean, abbé des Roches, y étaient présents, aussi bien que Geoffroi , prieur de Saint-Eusèbe; et, de la part du clergé de la ca­thédrale, Pierre archidiacre, Guillaume doyen, Raoul trésorier, Étienne chantre, Robert lecteur, Renaud chambrier, Germain sous-diacre, et d’autres chanoines qui, tous, s’obligèrent par serment de ne plus élire de prévôt, et de faire jurer la même chose à leurs successeurs, sous peine d’excommunication que, fulminèrent l’évêque, les abbés et les prêtres qui étaient de cette assemblée. L’acte est daté du 30 avril 1166.

Pendant quatre ans, Guillaume, comte d’Auxerre, avait refusé de rendre hommage à son évêque; mais, en 1157, il déclara qu’il tenait de lui en fief tout ce qu’il avait dans la ville, excepté les murs, parce qu’ils relevaient du roi, et quelque chose au delà du pont, dans le fief du duc de Bourgogne. A l’égard des seigneurs de Cosne, Château-Neuf, Mailly, Saint-Sauveur, Bitry, Lorme et autres châteaux et châtellenies, il déclara qu’il les tenait en fief de l’évêque, sans aucune exception, et qu’il ne pouvait y abolir les anciennes coutumes pour en introduire de nouvelles.

Alain eut encore quelques démêlés avec le fils de ce comte, appelé aussi Guillaume comme son père. Ce jeune seigneur était en guerre contre quelques autres gentilshommes du voisinage. Dans ce but, il entretenait une armée qui ravageait les terres de l’évêché, principalement celles de Varzy et d’Appoigny, et d’autres biens appartenant aux chanoines et à divers membres du clergé. Quelques seigneurs, notamment celui de la Ferté-Loupiére, se jetèrent sur Appoigny et les environs, et voyant Guillaume animé contre l’évêque, jusqu’à refuser de se dire son vassal, ils en voulurent faire autant. Heureusement pour Alain, le pape Alexandre se trouvait alors en France, et, étant venu demeurer à Sens, il ne servit pas peu à apaiser ces révoltes. Le roi Louis VII s’y étant rendu pour le visiter, l’évêque profita de l’occasion et fit sa plainte aux deux puissances. Le pape donna alors commission à l’archevêque de Sens, Hugues de Toucy, d’arranger cette affaire; de concert avec le roi, il déter­mina le comte à se soumettre à une décision, mais ce ne fut pas sans difficulté. Dans les trois audiences où il comparut devant l’archevêque, tant à Sens qu’à Auxerre, Guillaume chercha toujours à éloigner le jugement; cependant, Geoffroi, évêque de Langres, ainsi que les abbés de Clairvaux et de Pontigny, le contraignirent à le subir. Le roi confirma lui-même la transaction qui avait été faite en 1145 par saint Bernard, entre l’aïeul de ce comte et l’évêque Hugues. On en dressa un arrêt authentique en présence et sous le témoignage de Henri, évêque de Troyes, et de quelques dignitaires de la cathédrale ; l’évêque de Langres confirma cette même transaction par un acte séparé. Tout ceci arriva en 1164. Pendant ces difficultés, Alain écrivit cinq lettres au roi; Hugues, archevêque de Sens, lui en adressa une et le chapitre d’Auxerre en fit autant. Ces lettres sont imprimées dans le Recueil de Du Chesne.

Dès les premières années de son pontificat, Alain s’était acquis une telle réputation, que le pape Adrien IV le chargea de plusieurs commissions importantes. Par ordre de ce Souverain-Pontife il examina, en 1154 avec Thibaud, évêque de Paris, les crimes dont on accusait l’abbé de Lagny; l’évêque d’Auxerre et Hugues, archevêque de Sens, eurent encore à terminer le différend qui existait entre le prévôt de Leré et un chanoine d’Auxerre qu’on croit être Landri de Tracy, touchant une prébende. Alain qui, en 1153, avait été témoin d’un acte par lequel Geoffroi, évêque de Langres, attribuait diverses églises à l’abbaye de Montiéramey, reçut aussi du pape la mission d’accorder les moines de la Charité avec les chanoines de Châteaurenard, relativement à, une prébende qu’ils prétendaient avoir dans ce chapitre (1154). En 1156, il se trouva à l’exposition de la Sainte-Tunique découverte à Argenteuil. Vers 1160, le bruit avait courru que le chef de sainte Geneviève avait été ôté de sa châsse et volé. Le roi Louis le Jeune nomma Alain, avec l’archevêque de Sens, à l’effet de vérifier le fait, ce qui eut lieu le 10 janvier 1164 : il fut établi et constaté qu’aucun vol n’avait été commis.

Dès l’année 1166, le pieux évêque d’Auxerre méditait de retourner à son monastère. Le livre des sépultures de Clairvaux dit qu’il consulta le pape à ce sujet et en obtint la permission de donner suite à son dessein; mais cela n’est guère croyable. Quoi qu’il en soit, Alain, après avoir gouverné saintement son diocèse pendant quatorze années, donna sa démission et se retira d’abord à la Rivour, puis à Clairvaux. C’est dans le premier de ces monastères qu’il fit, en 1182, un testament qu’on trouve dans les Preuves de la Gallia Christiana , tome XII, col. 136, et qui ne contient rien de particulier au diocèse d’Auxerre. C’est là aussi qu’il écrivit la vie de saint Bernard.

Les historiens et les biographes ont fixé la mort d’Alain à l’année 1182, mais il y a ici une erreur manifeste, puisqu’en 1183,il concilia quelques différends que les moines de la Rivour avaient avec ceux de Montiéramey, et qu’en 1185, il souscrivit à une charte du comte Pierre en faveur de l’abbaye de Bouras. Tout ce qu’on peut dire de certain, c’est qu’Alain mourut le 14 octobre après 1185, dans la cellule même de saint Bernard, à Clairvaux, qu’il avait prise pour l’habiter après le décès de Godefroi, évêque de Langres. Nous fixerons plus volontiers sa mort au 14 octobre 1202.

Il   nous reste d’Alain, qu’il ne faut pas confondre comme on l’a fait, avec maître Alain, son compatriote et contemporain, l’un des plus savants religieux de son siècle, 1° cinq lettres adressées à Louis le Jeune, au sujet de ses contestations avec le comte de Nevers : elles offrent des informations intéressantes sur les coutumes, les lois et la procédure féodale, 2° Une vie de Saint Bernard, où les faits sont présentés avec plus d’exactitude, de précision et de méthode, que dans les biographies qui l’avait précédé. Les lettres ont été imprimées par Du Chesne dans le tome IV de son Recueil des historiens de France. Quant à la vie de l’illustre abbé de Clairvaux, on la trouve dans les Œuvres de ce grand docteur, tome II de l’édition de 1690, in-folio.

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