SAINT GÉRAN (909-914) |
On vit naître de grands troubles dans
l’Église d’Auxerre, quand il fut question de donner un successeur à
Hérifrid. Rainard de Vergy, vicomte d’Auxerre et homme très-puissant,
voulant dominer jusque sur le clergé et s’enrichir de plus en plus des
biens de l’église, essaya de faire nommer un personnage dont il put
disposer à son gré. Il alla trouver Richard le Justicier, duc de
Bourgogne et réputé comte d’Auxerre, sur lequel le roi Charles le
Simple se reposait entièrement pour ce qui regardait la Bourgogne. Il lui
fit de riches présents et en obtint la permission de diriger l’élection
du futur évêque. Armé de ce pouvoir, Rainard revint à Auxerre,
rassembla les chanoines et leur demanda quel était celui qu’ils
voulaient nommer pour évêque. Ils répondirent sans hésiter qu’il
n’y en aurait point d’autre que celui que Dieu aurait choisi. Le
vicomte les combla de politesses, et leur proposa Géran qui obtint le siége
épiscopal. Géran
(ou plutôt Julien) était né à Soissons. Son père Otard et sa mère
Give, l’avaient fait élever dans les sciences par les soins de l’évêque
Rodoin, son oncle. Il avait appris à Soissons le chant ecclésiastique
qui était alors une science fort cultivée. Agrégé au clergé de la
cathédrale, on avait admiré en lui, simple clerc encore, une grande
intelligence des livres historiques de l’office divin et un talent
particulier pour chanter d’une manière affectueuse les louanges de
Dieu. Ses mœurs étaient irréprochables. N’étant que simple chanoine,
il montra beaucoup de compassion pour les pauvres qu’il aimait à
secourir. Dieu lui avait donné de grands biens: ses greniers et ses
celliers devinrent ceux des indigents. Il donnait l’hospitalité aux
voyageurs, soignait les orphelins, consolait ceux qui étaient dans
l’affliction, et ne laissait personne sans conseils salutaires. Les
chanoines ne le regardaient plus comme leur élève, mais comme leur père,
de telle sorte qu’ayant passé par tous les degrés de la cléricature,
Géran était devenu prévôt du chapitre et archidiacre de Soissons. Il
était aussi très agréable au roi, aux évêques et aux grands du
royaume; la noblesse et le peuple le chérissaient. Elu
évêque d’Auxerre le 21 décembre 909, il fut sacré le 14 janvier de
l’année suivante, apparemment à Sens. Il est certain que son sacre
avait eu lieu lorsqu’il vint à Auxerre, puisque, dès son arrivée dans
cette ville, des personnes pieuses s’empressèrent de le porter en
triomphe sur leurs épaules jusqu’à l’église de Saint-Etienne où,
revêtu des ornements pontificaux, il fut intrônisé dans la chaire épiscopale.
C’est le premier exemple, dans l’histoire ecclésiastique d’Auxerre,
du portage d’un évêque qu’on intrônise; il coïncide avec l’établissement
définitif de la féodalité en France. Géran
ne tarda pas à s’apercevoir des desseins de Rainard de Vergy sur l’Eglise
d’Auxerre. Ce vicomte s’empara d’abord de la terre de Gy, comme si
l’évêque avait promis de la lui donner, et il suggéra à son frère
Manassès, l’un des plus riches seigneurs du royaume, de s’approprier
celle de Narçy. Bientôt Géran se vit réduit à un tel état de
servitude, qu’il ne pouvait rien entreprendre sans le consentement de
Rainard, qui commandait à tous les ecclésiastiques du diocèse comme à
tous vassaux. Pour comble de malheur, les Normands faisaient nuit et jour
d’effroyables ravages dans l’Auxerrois. C’est
alors que le digne pasteur, armé d’un courage héroïque et plein de
confiance en Dieu, prit des résolutions qui méritent d’être signalées.
Il entreprit d’abord de repousser les barbares. En conséquence, il
assembla des troupes, les instruisit, les bénit, se mit à leur tête et
partit. Le vicomte était avec lui; Géran l’en avait prié. Celui-ci
envoya des espions pour connaître l’endroit où les Normands étaient
campés. Ayant appris qu’ils se trouvaient aux Chesnez près d’Auxerre,
il fit marcher ses troupes contre les barbares, les rencontra, et, après
un combat acharné, mit leur armée en déroute. Victorieux, il revint à
Auxerre avec trois étendards pris aux ennemis et deux de leurs chefs
prisonniers. Après plusieurs autres succès remportés sur les Normands
par Géran qui s’était associé avec Richard le Justicier et Robert,
duc de France, Géran ne permit point aux pirates de s’approcher de sa
ville épiscopale; enfin, ces barbares se soumirent à la France, embrassèrent
le christianisme, et s’établirent, avec le consentement du roi, dans la
province de Neustrie qu’ils avaient d’abord pillée. Comme on le pense bien, Rainard de Vergy ne vit pas avec plaisir les triomphes militaires de son évêque et les services que celui-ci venait de rendre à son diocèse, à la France même. La gloire du prélat tourna facilement à la confusion du vicomte dont les entreprises et les empiétements sur l’église d’Auxerre furent généralement désapprouvés par toutes les personnes qui respectaient la justice. Le vicomte fut désormais impuissant à faire le mal, et Géran continua, avec plus d’ardeur que jamais, à prouver qu’il était le véritable père de ses ouailles et le protecteur de son Église. Il
fit des libéralités très considérables aux chanoines de sa Cathédrale.
Selon la coutume du temps, il leur donna de quoi solenniser la mémoire du
jour de son élection. Ce jour, qui était le 21 décembre, est marqué
dans leur nécrologe avec le nom des terres qu’il donna pour sa
bienvenue, savoir: Logniacum et Solium (peut-être Leugny et
Souille près de Charentenay). On devait chaque année compter aux
chanoines, sur le revenu de ces deux terres, une livre de deniers
d’argent, et fournir un muid d’huile pour les lampes des églises de
Notre-Dame, de Saint-Jean et de Saint-Etienne. Géran statua, en outre,
que Nancré et Lupin (Alpin), de la paroisse de Lindry, seraient réservés
pour les honoraires des chanoines, ainsi que la terre de Gié, entre Châtillon-sur-Seine
et Bar-sur-Seine, plus une vigne située près d’Auxerre dans un lieu
que, probablement, on appelait Seseroe au XlIle siècle, et qui devait
produire au chapitre une rente annuelle d’un muid de vin, etc. Le saint évêque d’Auxerre s’était aussi proposé de laisser des
biens pour fonder son obit; mais la mort ne lui en laissa pas le temps. Il
entreprit d’aller à la cour pour essayer d’obtenir du roi un ordre
qui enjoignit à Rainard et à son frère Manassès, de restituer à l’évêché
les terres de Gy et de Narcy. On était alors dans les grandes chaleurs de
l’été. Il tomba malade en route avant d’arriver à Soissons, où il
fut honorablement reçu; mais le mal empirant, il ne dut plus songer qu’à
la mort, qui arriva pour lui le 28 juillet 914. Abbon, évêque de
Soissons, fit venir deux autres évêques pour assister à ses funérailles,
qui eurent lieu avec beaucoup de pompe. Géran fut inhumé à Soissons, auprès de son oncle Radoin. On ne sait positivement si son corps a été transféré à Auxerre, et son nom ne se trouve dans aucun martyrologe ni dans aucun calendrier parmi ceux des saints, excepté dans un Bréviaire de Soissons, du XVIIIe siècle, où on l’inséra, à la sollicitation d’un chanoine d’Auxerre qui l’avait mis dans les litanies imprimées par ses soins en 1643. |
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