CLIMATS OU LIEUX-DITS RENOMMES 

DES GRANDS VINS D’AUXERRE  

« Auxerre est la boisson des Rois »

Cette exclamation d’un poète inconnu ouvre dignement le dernier article de nos promenades dans la ville et le territoire d’Auxerre.

Contentons-nous de jeter un coup-d’oeil sur l’histoire de ces bons vins. Migraine, la Chainette, Boivin, Judas, Quetard, Clairion ! Voilà des noms connus et des sols privilégiés. C’est là, sur ces collines immaculées, à la base calcaire des formations portlandienne et néocornienne, que se sont retranchés les bons plants, le pinot noir, fuyant le bas gamay qui menace d’envahir tout le sol, malgré l’ordonnance de proscription du vieux duc de Bourgogne, Philippe-le-Hardi, qui l’appelait « déloyaut plant (Ordonnance de 1395). »

 

La Grande-Côte, tel est le nom sacramentel de ces crus bien connus. Ce territoire, situé à l’ouest de la ville, commence au lieu dit Rosoir, à droite de la route de Saint-Georges, et il s’étend vers le nord; à côté de Rosoir vient Migraine où était le clos de l’évêque.

Viennent ensuite Quetard ; Boivin qui produit le vin le plus fin et le plus corsé; enfin les Clairions et les îles. Sur le versant de la côte qui regarde la rivière sont les climats de Judas et de la Chaînette, jadis aux moines de Saint Germain.

Le territoire d’Auxerre a dû être déjà, du temps des Romains qui s’y connaissaient, l’objet de la culture de la vigne. Plus tard, au IXe siècle, Héric chanta la célébrité de son pays et la réputation de ses vins.

Au Xe siècle, Ingelger, comte du Gâtinais, y possédait des vignes qui, selon le chroniqueur, produisaient des vins délicieux, (Thomas de Loches, dans le Spicilége de d’Achery) et au nombre desquels devait être le Migraine.

Mais c’est surtout au XIIe siècle que l’existence du vin de Migraine nous est particulièrement révélée. Les amateurs le placent au-dessus de tous les autres vins d’Auxerre pour son bouquet parfumé, sa délicatesse et son ton généreux. Le climat où il se récolte fait partie de ce qu’on appelle la Grande-Côte, territoire qui appartenait aux évêques d’Auxerre.

On connaît l’anecdote de l’évêque Hugues de Montaigu qui, ayant appris que les religieuses de Crisenon n’avaient point récolté de vin par suite de la gelée, en 1118, ordonna à son cellerier de leur donner un muid de vin de Migraine (Migraina). Celui-ci, ébahi, fit observer à son maître que, sans doute, il se trompait, et qu’au lieu d’un vin de haut prix les religieuses se contenteraient bien d’un vin de moindre valeur.

« Vous n’avez point de goût pour les choses de Dieu, dit l’évêque, ce qui est dit est dit ; ne savez-vous pas que la parole d’un évêque ne doit jamais être sans effet ? »

Et le chroniqueur ajoute qu’avec ce muid de bon vin les religieuses purent en acheter plusieurs autres de vin commun.

Les rois anglais, maîtres de la Normandie, faisaient, au XIIe siècle, acheter du vin d’Auxerre pour l’approvisionnement de leurs châteaux de ce pays. Un tonneau de ce vin est estimé, en 1198, 10 livres 4 sous, tandis que d’autres vins ne sont cotés que 6 ou 7 livres (Magn. Rotul. saccarii Normanniœ, II, 307, Londini).

Le commerce du vin d’Auxerre en Normandie continua dans les siècles suivants et même jusqu’au XIXe siècle. On se rappelle encore, dans le pays, que les bons propriétaires conduisaient eux-mêmes leurs vins aux foires de Rouen. Ces voyages étaient aussi l’occasion de bonnes parties de plaisir.

Les grands personnages des XIIe et XIIIe siècles possédaient des vignes à Auxerre, qu’ils faisaient récolter.

Au XVIIe siècle, le Chapitre d’Auxerre, plaidant contre les héritiers de Jacques Amyot, citaient le vin de Migraine comme le meilleur vin de Bourgogne.

Fagon, premier médecin de Louis XIV, en traitant son maître par les vins de Migraine, de Coulanges et de Beaune, lui rendit la santé, en 1680. Erasme avait fait de même au siècle précédent.

Les poètes n’avaient pas été les derniers à reconnaître le mérite des vins d’Auxerre et leur concert, à cet égard, est unanime (Voyez Déy, Notice hist. sur les Vins d’Auxerre, 1855, br. in-8°. — L’auteur a réuni dans ce travail tous les passages des poètes écrits en l’honneur des vins d’Auxerre). Nous ne citerons que les paroles d’un écrivain facétieux du pays, Jean Pinard, qui disait, au XVIe siècle, dans son Discours joyeux en façon de sermon sur les climats des vignes d’Auxerre

 

Mange bons morceaux, et Boyvin

Du meilleur, avec ton voisin,

Bon jambon cuit avec la sauge;

Nourris-toi comme un porc en l’auge.

Aux Bordes et à la Chapotte,

Taille, bisne, porte la hotte

A la Chenotte et au voisin

Clos que l’on appelle Sainct-Germain (*).

Ce faisant, tu me peux bien croire,

Tu ne pourras meilleur vin boire

En tout le finage auxerrois.

(*) C’est ce qu’on appelle vulgairement la Chaînette

 

Les religieux de Saint-Germain possédaient, de temps immémorial, les vignes voisines de leur monastère et qui ne sont séparées, aujourd’hui encore, de l’ancienne abbaye que par la route. C’était là leur clos de la Chaînette. Il est devenu, pour une partie, la propriété de l’Asile des aliénés. La valeur de ce coteau a toujours été considérable: en 1784, M. de Choiseul en estimait le vin à 500 livres le muid (R. Labergerie, les Géorgiques françaises, II, 240).

Plus loin, en suivant le cours de l’Yonne, le lieu dit Ju­das appartenait, comme nous l’avons déjà dit, aux moines de Saint-Germain. On appelait, au XIVe siècle, le climat Jou­d’Asnes (Archives de Saint-Germain; —Livre de l’Hôtel-Dieu en 1339), et c’était avec raison: Jou-d’asnes veut dire colline aux ânes, et Judas n’en est que la corruption grossière.

La culture intelligente des moines, comme celle des évêques, a donné, à Auxerre, sa réputation de grand cru : c’est encore un service de plus que la ville doit à l’Église.

Mais revenons à l’histoire de nos vins. Les géographes français et étrangers ont tous reconnu le mérite des vins d’Auxerre (Voyez Ortelius, Valois, Zinzerling, etc.). Un praticien réputé, Audry, écrivant un traité des aliments du carême, en 1713, déclare que le vin d’Auxerre est des meilleurs de Bourgogne et le propose, avec celui de Beaune, aux personnes jalouses de leur santé. L’abbé Lebeuf ne pouvait rester étranger à l’histoire de ceux d’Auxerre. Il fut amené à en défendre l’excellence contre son cousin et beau-frère Lebeuf, de Joigny, qui avait osé, dans le Mercure de 1731, mettre les vins de Joigny au-dessus de ceux d’Auxerre. C’était là une prétention que ne pouvait pas souffrir notre docte et spirituel abbé, et dans une riposte intitulée Voyage aux États de Bacchus, il remit son adversaire à sa place et fit prononcer par Bacchus un arrêt en faveur de la Bourgogne contre les vins de Joigny, qu’il condamne comme Champenois et comme n’étant pas dignes d’être comparés aux vins d’Auxerre (Voyez Mercure d’octobre 1731). Ce jugement a été ratifié par la postérité, n’en déplaise aux amateurs de la Côte Saint-Jacques.

Saluons encore, en finissant, les bons vins récoltés en Boivin, en Quetard et en Clairion, ces climats ou lieux-dits aussi précieux qu’ils ont peu d’étendue, et répétons le refrain Auxerrois :

 

  Auxerre est la boisson des rois !

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