PLACE
DU PALAIS DE JUSTICE |
Les vicissitudes nombreuses qu’ont subies les établissements
religieux et civils installés sur cette place demanderaient de longs détails
pour être racontées. Nous tâcherons de les résumer en quelques lignes. Aujourd’hui, le palais de justice occupe la plus grande partie de
l’emplacement de l’ancienne abbaye de Notre-Damela-d’Hors, appelée
ensuite de Saint-Marien, qui a disparu entièrement. Elle avait été remplacée
elle-même depuis la Révolution par divers services communaux ; on y avait logé
d’abord le curé de la paroisse Saint-Etienne (1809), puis plus tard la
bibliothèque publique et le musée (en bleu sur le plan), les justices de paix, le tribunal de commerce et une école
de filles (en rouge sur le plan). Le jardin des moines devint, en 1827, une sorte de jardin des
plantes (2), au milieu duquel on plaça, en 1849, la statue de Joseph
Fourier,
savant géomètre et Auxerrois. Une promenade de tilleuls (1)
fut plantée sur
l’emplacement de l’église de Saint-Marien, qui coupait transversalement la
place actuelle, et dont le sanctuaire se rapprochait de la rue Notre-Dame. Mais revenons à l’origine et à l’histoire du monastère de
Notre-Dame-la-d’Hors. L’évêque saint Vigile établit au VIIe siècle un monastère
d’hommes sur l’emplacement actuel du palais de justice; il le dota des
terrains qui l’entouraient et qui étaient alors inoccupés (On y a trouvé
en 1863 un cippe funéraire romain. Voyez Catalogue du Musée d’Auxerre, monuments
lapidaires, n° III). Il le plaça sous l’invocation de Notre-Dame, et la
situation du monastère hors des murs de la cité romaine lui fit donner le
surnom de la d’Hors. Au XIIe siècle on l’appelait aussi la Ronde, à cause de sa forme circulaire. C’est le seul édifice qui, avec le
baptistère de saint Jean-Baptiste, ait eu cette forme à Auxerre. Saint Vigile donna pour limites aux terres de l’abbaye le grand chemin
qui, de la porte de Paris (celle de l’Horloge), allait à un petit bois dans
la direction de la porte actuelle d’Eglény et aux vignes de Migraine et de
Saint-Germain, le grand chemin qui conduisait à la montagne Saint-Siméon et la
rue actuelle de Paris. Les ravages des Sarrasins et des Normands réduisirent l’abbaye
Notre-Dame au néant. Elle était, d’ailleurs, passée dans le domaine royal
sous Charles-Martel, et ne fut restituée aux évêques que par le roi Louis
d’Outre-Mer. Puis, elle fut de nouveau aliénée, et Aganon, évêque d’Autun,
la rendit à l’évêque Geoffroi de Champaleman. Enfin; vers la fin du XIe siècle,
elle fut cédée au chapitre par Robert de Nevers. On y voit ensuite des
chanoines séculiers. L’évêque Hugues de Mâcon la donna, en 1140, aux
moines Prémontrés de Saint-Marien qui s’y retiraient dans les temps de
guerre et y avaient ordinairement quelques prêtres pour le service de la
paroisse qui s’y forma peu à peu. Depuis l’an 1570 ils s’y fixèrent définitivement.
— Ils étaient vêtus de blanc avec un petit scapulaire par dessus leur
soutane. Pour sortir en ville, ils mettaient un manteau comme les ecclésiastiques
et un chapeau blanc. Le culte de saint Vigile fut toujours très grand dans la paroisse
Notre-Dame-la-D’hors, et son corps était exposé sur le grand autel de l’église. Les paroissiens avaient pour lui une vénération très profonde; ils
l’appelaient le « glorieux ami de Dieu ; » ils l’invoquaient dans les
calamités publiques, et bien des fois, notamment au XVe siècle, de grands débats
s’élevèrent entre eux et les moines de Saint-Marien qui voulaient se réserver
la possession de cette précieuse relique que les paroissiens prodiguaient un
peu trop. (Accord de 1472. Voyez Bulletin de la Société scientifique de
l’Yonne, année 1848) Les Huguenots y mirent bon ordre, en 1567, en dispersant les ossements
du saint cependant quelques fragments en furent recueillis après le pillage par
l’évêque Amyot, et remis dans une châsse sur l’autel, jusqu’au milieu
du XVIIe siècle; et le tombeau de pierre de saint Vigile fut conservé dans
l’église. Il y avait des ouvertures par lesquelles on introduisait les
malades. Lebeuf (Mémoires sur Auxerre, t. 1, p. 147) raconte fort au
long les vicissitudes qu’il éprouva, sa destruction et la place qu’il
occupait et qui était sur les degrés de l’autel de l’église, c’est-à-dire
sur la place actuelle du palais de justice. Il a été retrouvé, en 1852, lors de l’établissement
des tuyaux des fontaines, et transféré pieusement dans la cathédrale. (Voyez Bulletin
de la Soc. des Sciences de l’Yonne, 1852, p. 271) L’église Notre-Dame-la-D’Hors, reconstruite au XIIe siècle, menaçait
ruine à la fin du XVe. On la rétablit, mais elle était peu remarquable ; le
chœur fut abattu sous le règne d’Henri III, puis reconstruit. C’est dans l’église Notre-Dame-la-D’Hors que le vicomte Evraud de
Châteauneuf fit tuer un homme qui s’y était refugié pour éviter sa
vengeance (fin du XIIe siècle). Si l’église était peu intéressante, elle avait un clocher de pierre
très élégant qui avait été bâti en 1405. Une réparation malencontreuse le
fit écrouler en 1627, le 22 septembre. Il écrasa dans sa chute le jubé et une
partie de la nef. On restaura ensuite toute cette partie et le vaisseau offrit
un ensemble très régulier et très spacieux. Voici quelques fragments de la
description du clocher au moment de sa chute, qui donneront une idée de ce
singulier édifice, auquel ressemble en petit le clocher de
Coulanges-les-Vineuses « Le pied carré du clocher étoit soutenu de quatre piliers bouttants
et de trois arcs, il n’y eu avoit point du costé du cimetière et du grand
portail qui aboutit à la rue par laquelle on descend à la Croix-de-Pierre
…… sur chacune des quatre faces estoit une grande fenestre avec quelques
petites ouvertures ; « Sur lequel carré estoit posée la piramide de hauteur de 18 toises,
composez de 8 panz en forme octogone soutenus par le dedans de quatre trompes
portant à faux par le dedans, et par le dehors il y avoit 4 petites piramides
qui tenoient et occupoient les quatre coins, chacune garnie de 4 colonnes et 4
chapiteaux avec leurs cordons artistement élevés en bosse, le tout de pierre
de taille en pointe de diamant, et chacune pyramide de 45 pieds de haut. « La grande piramide de pierre saillie élevant au milieu desdites
quatre petites piramides ou clochetons cy dessus à huit pans et huit faces de
pierre de taille, en pointe de diamant, chacun d’épaisseur seulement de 6 à
7 pouces; et estoient lesdits huit pans garnis de huit arrestiez aussi de pierre
de taille, revestu de gros boullons de pierre ayant un pied de saillie; par
lesquels boulons de pierre posez au dehors on montoit jusques au bout et extrémité
de ladite flèche, sur laquelle estoit posée la croix. « Quatre desdiz huit pans par le bas estoient rehaussés et enrichis de
quatre grandes fenestres flamandes (t) revêtues de leurs chapiteaux; sous
chacun d’iceux un grand arc, les autres quatre pans de grandes fenestres où
à chacune il y avoit un trumeau de pierre; lesdites huit fenestres de hauteur
de 15 à 16 pieds ; au dessus desquelles quatre fenestres flamandes et quatre
autres fenestres garnies de leurs trumeaux et de distance en montant de 9 à 10
pieds, et y avoit quatre ovalles en chacun pan. Chacune ovalle de hauteur
d’une toise et les autres quatre pans embellis de chacun truffe garnie de ses
boullons, chacune truffe à l’endroit de chaque ovalle et au dessus desdites
ovalles et truffe et des deux toises de distance, il y avoit huit grandes
fenestres qui est à chacun desdit pans une fenestre de hauteur de 9 à 10
pieds, de sorte que de tous côtés qu’on peut jetter sa vue, il y avoit
toujours du jour, d’autant qu’il n’y avoit rien qui ne fût ouvert que le
dessus desdites fenestres et ces huit pans qui étoient dans leur massif pour
servir avec leurs boulons au dehors de monter jusqu’à la croix, toutes les
pierres étoient de peu d’épaisseur, étoient toutes cramponnées de petites
bandes de fer soudez de plomb jusques à la dernière pierre qui estoit fort liége
et de forme ronde qui couvroit ladite piramide, sur laquelle pierre estoit posée
la croix, laquelle avoit jusqu’au poulet 9 pieds; et entre lesdites fenestres
et ladite grande pierre, il y avoit en chacun pan un os de largeur en leur
rotondité de trois pieds de chacun. » Une inscription sur marbre noir de l’an 1643, conservée au Musée
d’Auxerre, rappelle la construction de la tour et du portail de l’église : MDCXLIIIe le II d’avril, on a ietté les fondem. de la tovr de cette église, et le XI may de la mesme année ce portail a esté com- mencé. L’vn et l’avtre ont esté côtinvé sovs le Regne de Lovis XIIII. Et dv temps des nobles Edme Bargedé, coner av siege présidial d’Av- xerre, Edme Beravd coneur en la maison de la Feve Reine Margte et Pierre Enfert marcht procureur de la Fabrique de ceste parraiste (sic). Le dernier souvenir qui reste de l’église Notre-Dame-la-d’Hors se
trouve dans un tableau que conservait en 1869 Mlle Prudot, à Auxerre. Il représente
sur une vaste toile la célébration de la cinquantaine du mariage de Pierre
Germain Robinet, ancien juge-consul, gouverneur du fait commun, etc., avec
Gabrielle Robert. Il est signé B. Martin, p. des Gobelins, 1736. Autour d’eux assistent des personnages en grande toilette, parmi
lesquels sont les douze enfants des époux ; on y distingue des religieux
et des religieuses, des dames élégantes et le procureur du roi, Charles
Vincent Robinet. L’église était à trois hautes nefs, les arcades du chœur à ogives
surbaissées retombant sur des piliers, tandis qu’au sanctuaire elles étaient
cintrées et portées sur colonnes à petits chapiteaux munis d’oves. On voit, dans le fond, des chapelles éclairées par de hautes fenêtres
cintrées et à meneaux; sur chaque pilier ou colonne était accroché un
tableau. Voici la pièce de vers qui fut composée et imprimée à l’occasion
de l’anniversaire du mariage de M. Robinet. Elle donne une idée des mœurs et
du goût du temps.
Lors de la Révolution, l’église Nôtre-Dame était signalée comme
très grande, solide et en assez bon état. Elle servit, en 1793, de magasin aux
fourrages. En 1799, les voûtes menaçaient ruine; les catholiques de la
paroisse, ne pouvant faire les sacrifices nécessaires pour la restaurer,
l’abandonnèrent ; l’Etat la mit en vente et elle fut démolie. L’expertise
lui donne 25 toises dans oeuvre et 11 toises de largeur moyenne. La place portait, en 1798, le nom de
place des Ecoles primaires à
cause de la nouvelle destination des bâtiments du monastère. La destruction de
l’église Notre-Dame fit créer une petite place, plantée d’arbres en 1826, qui donnait quelque fraîcheur au quartier. Le bourg ou paroisse de Notre-Dame-la-d’Hors était jadis fort étendu.
En 1270, il y arriva un incendie considérable dont parle la chronique de
Saint-Marien. Lebeuf dit qu’il y avait longtemps déjà, à cette époque, que
le clos des moines avait été transporté du midi de l’église au nord, sans
doute à cause de l’accroissement de la population qui les avait poussés à céder
à rente et par portions les terrains qui formaient ce clos. Un quartier du
bourg se nommait déjà la Croix-de-Pierre (Voir. rue de
Paris), et un autre s’appelait Vennosa, dès l’an 1232. Le savant auteur
auxerrois pense que c’était l’extrémité orientale de la rue Michelet, où
était la décharge de l’étang de Saint-Vigile, à raison de la signification
de ce mot en basse latinité (Lebeuf, Histoire d’Auxerre, t. II, 178). En 1299, on voit une maison dans ce bourg en la rue des Clos (Archives,
Fonds de Saint-Marien). Pendant longtemps, en effet, il y eut des clos, des
courtils, des cultures au lieu de maisons. Dans la première moitié du XVIe siècle,
les moines morcelèrent leurs clos et les aliénèrent de manière à former des
rues. Ils s’en réservèrent toutefois une portion autour de leur monastère,
qui était fermée de murs de huit pieds de haut du côté des terrains concédés
(Archives, Fonds de Saint-Marien). Comme on le présume bien, les maisons qui
s’élevèrent dans ces quartiers n’eurent pour habitants que des laboureurs
et des vignerons. Nous
empruntons à un État de biens de l’abbaye Saints Marien.», dressé
en 1668, une description de l’étendue du clos de Notre-Dame-la-d’Hors, tel
qu’il fut donné à cette église par saint Vigile. Ce morceau nous a paru intéressant. «
L’étendue
que contenoit jadis le monastère de NostreDame-la-Rotonde, dite à présent
la Dehors, se prend autour de l’église, icelle en faisant comme le centre.
Pour en faire la circonférence, il faut aller dans la rue Michelet, où sont à
présent les religieuses de Saint-François-de-Sales, et, commençant à la
maison du conseiller Ragon qui est la première à droite, descendre jusqu’en
bas de ladite rue et remonter à droite vers Saint-Estienne par une rue (La rue
René Laffon) qui est un peu dessous la maison de M. Fernier, lieutenant
particulier; et étant remonté jusqu’à la rue dite de l’Etang-Saint-Vigile
(La rue du 4 septembre), il faut suivre ladite rue jusqu’aux Bernardines,
desquelles il faut monter par la rue dessous les Cordelliers jusqu’à la
Cloche-bleue, de là descendez vers la Croix-de-Pierre
jusqu’au lieu dit la
Cour-Guynot (La cour Guinois), où est la maison dite des Rats; ladite
Cour-Guynot est un cul-de-sac, le fond duquel est la maison des Rats; percez
ladite maison, la laissant à votre droite, et montez jusqu’au Poncelot, qui
est dans la rue par laquelle on va des Ursules au marché, et dudit Poncelot
montez jusqu’au parloir desdites Ursules, auquel étoit une rue qui alloit à
la rue du Bois et finissoit où est à présent leur jardin; donc passez par
pensée au travers du parloir et allez dans la rue du Bois vestre l’église
Notre-Dame-la-d’Hors jusque dans la rue qui, de la
Croix-de-Pierre, va au Grand-Caire; par cette rue, allez jusqu’aux remparts (lesquels ont été faits
sur notre fonds et dans ledit clos), puis suivez lesdits remparts vers la porte
Saint-Siméon et descendez dans la rue neuve dite autrement des Maisons-Brûlées
(La rue des Ballets) jusqu’à la maison du nommé Martin, auquel endroit vous
entrez en la rue
Saint-Siméon, dans laquelle estant, montez à la ville et
allez jusqu’à la maison dudit conseiller Ragon, et vous y achèverez votre
circonférence; et tout ce que, dans ce voyage, vous aurez à votre droite, est
de nostre enclos, et nous doit censive, sans compter d’autres censives par-ci
par-là dans la ville. » En résumé, la paroisse Notre-Dame était très vaste et s’étendait
entre la rue d’Egleny au sud, les murs de la ville jusqu’à la porte de
Paris à l’ouest, le côté ouest de la rue du même nom, puis sur la
partie gauche de la rue Michelet en descendant, la rue du 4 septembre et la rue
de Paris tout entière. La paroisse Notre-Dame-la-d’Hors était encore au dernier siècle le
refuge des Capons (Les Capons étaient les restes des anciens lépreux
appelés aussi cagots. Ils vivaient en mendiant). M. Robelot,
administrateur de l’hôpital-général, fondant, en 1715, trois lits en l’hôtelDieu
pour des vieillards ou des malades portant son nom, ou pour les pauvres
habitants de la paroisse de Notre-Dame-la-d’Hors, fait exception « des Capons
et Caponnes qui se retirent dans ladite paroisse et qui s’y naturalisent en
gueuzant (Archives de l’Hôtel-Dieu, 1. 2, S II). » La place de Notre-Dame a reçu au milieu du XIXe siècle des établissements
publics considérables qui la rendent très remarquable. Le Conseil général du
département y a placé le palais de justice, vaste construction au caractère
monumental, mais un peu lourd, comme tous les édifices de ce genre. Il est dû
à M. Piéplu, architecte du département, et a été inauguré le 6 novembre
1865.
Voy. dessins sur le Palais dans les
Almanachs de l’Yonne de
1863 et 1865. |
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