PLACE DE L’HÔTEL-DE-VILLE

Sur cette modeste place de l’hôtel de ville, nous sommes au centre d’Auxerre. On y chercherait en vain le monument caractéristique du pouvoir municipal au moyen âge qui embellit les vieilles cités du nord. L’hôtel de ville a des proportions plus modestes et ne paraît pas les avoir jamais dépassées.

Cet édifice, élevé sur un perron classique qui a servi à bien des proclamations, est composé d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage. Sa façade d’ordre toscan n’a rien de monumental, non plus que les intérieurs. On y a peint, sur le fronton, les armoiries de la ville, d’azur au lion rampant d’or, armé et lampassé de gueules, le champ semé de billettes d’or. Ces armoiries, qui sont celles des comtes de la famille de Nevers, ont été prises par les bourgeois lorsque la comtesse Mathilde leur eut accordé droit de sceau au commencement du XIIIe siècle.

L’administration de la ville varia beaucoup jusqu’en 1789. Formée, au XIIIe siècle, de douze jurés qui furent aussi appelés échevins ; elle fut modifiée au XVIe siècle, et le roi Charles IX mit un maire à sa tête. Les échevins furent réduits à quatre en 1666, et le maire devint perpétuel en 1693. Une ordonnance de 1772 modifia, pour la dernière fois, l’organisation des municipalités.

Dans l’origine, l’Assemblée des bourgeois avait lieu au palais des Comtes. Lorsque les Cordeliers se furent établis sur la place qui porte leur nom, ces moines populaires donnèrent l’hospitalité aux habitants sous leur cloître. Quand il s’agissait d’affaires ordinaires, les gouverneurs du fait commun, se réunissaient dans quelqu’hôtellerie aux frais de la ville, et y tenaient leurs conférences.

Mais cet état précaire finit par déplaire aux habitants, qui résolurent de le faire cesser. En 1452, ils obtinrent de Jean de Bourgogne, possesseur du comté d’Auxerre, l’autorisation de construire un hôtel de ville dans l’emplacement actuel. Il n’est rien resté de cet édifice, qui ne devait pas être bien considérable, car, trois siècles après, en 1703, il n’était encore composé que d’une seule salle au rez-de-chaussée; on en construisit alors une seconde. Une inscription placée au pied du pilastre de la porte d’entrée de l’hôtel actuel, et datée de 1733, nous apprend l’époque de la reconstruction de l’édifice. La pose de la première pierre en fut faite le 22 juin de cette même année par le Maire perpétuel, M. Edme-Jean Baudesson, ainsi que le relate, pour la postérité, une plaque de plomb mise dans les fondations en cet endroit.

Il existe encore, dans l’hôtel-de-ville, deux inscriptions en lettres d’or, sur marbre noir, qui mentionnent deux événements importants et heureux pour le pays, dont nos pères ont voulu perpétuer la mémoire.

La première rapporte le rachat des droits d’aides, qui eut lieu en 1786, dans les comtés d’Auxerre et de Bar-sur-Seine. C’était la liberté du commerce des vins, la suppression de l’exercice et de tous droits, excepté ceux d’octroi des villes. Mais la somme à payer pour ce rachat était énorme, deux millions cent quatorze mille livres pour le comté d’Auxerre seul

L’an 1786,

sous le règne de Louis XVI

et le ministère de M. de Calonne

et la médiation de S. A. S.

Monsieur le prince de Condé

et les soins de Anne-Louis-Henri

La Fare, abbé commendataire de l’abbaye royale de Licques,

chanoine de la Sainte-Chapelle de Dijon,

vicaire général du diocèse,

et Georges-César, comte de Chastellux,

chanoine héréditaire de l’église cathédrale d’Auxerre,

chevalier d’honneur de Madame Victoire, tante du roi,

brigadier des armées du roi,

mestre-de-camp commandant du régiment de Beaujolais,

François Noirot, maire de la ville de Chalon-sur-Saône,

Élus généraux des Etats de Bourgogne,

les droits d’aides ont été rachetés

dans les comtés de Bar-sur-Seine et Auxerre;

Edme Germain Villetard, écuyer, seigneur de Vincelles,

échevin et député.

  La seconde inscription constate le maintien de l’exemption de la dîme sur les vignes existant dans l’étendue de la censive du prieur de Saint-Amatre. La prétention de ce prieur n’allait à rien moins qu’à menacer les habitants d’un impôt énorme; l’arrêt du Parlement y coupa court.

Voici la pièce qui contient aussi la mention des lettres de Louis XVI sur le rachat des aides:

Le 19 août 1786,

arrêt du Parlement de Paris

qui juge contre le prieur de Saint-Amatre

que la dîme de vin n’est pas due â Auxerre.

Le 27 novembre, même année,

Lettres patentes du roi Louis XVI,

qui opèrent le rachat des aides en la

ville et comté d’Auxerre.

Messire Pierre-Henri Baudesson,

chevalier, maire perpétuel,

Messieurs Philippe-Etienne Guenot,

avocat en parlement, premier échevin,

Edme Germain Villetard, écuyer,

seigneur de Vincelles, 2eme échevin,

Claude Germain Le gueux l’aîné, bourgeois, 3eme échevin;

Joseph Deschamps, procureur, 4eme échevin,

François Leblanc, procureur du roi, de la maîtrise des Eaux

et Forêts, procureur-syndic,

Edme Louis Lefébure, notaire, substitut,

Jean-Baptiste-Nicolas Deschamps de Vallières,

bourgeois, receveur,

Pierre-Augustin Faultier, avocat en parlement,

secrétaire-greffier.

Conseillers de ville :

Messieurs René-François Coullault

de Berry du Marteau, bourgeois,

Louis Deseuvres, inspecteur des poudres et salpêtres,

Etienne Bussière, l’aîné, avocat en parlement,

et Germain Imbert, négociant.

  Mais revenons aux temps anciens.

L’hôtel de ville, à peine bâti au XVe siècle, servit à représenter les mystères qu’on jouait auparavant en plein air ; ce fut même une des raisons qu’alléguèrent les bourgeois pour demander cet établissement.

Au XVIe siècle, la façade, ou plutôt le perron de l’hôtel s’embellit. Lorsqu’en 1579 on fit venir les eaux de Vallan sur la place, on décora le bassin destiné à les recevoir d’une pyramide en pierre sur laquelle était un bas-relief de la scène de Jésus et la Samaritaine, et au-dessous la date de l’arrivée des eaux.

Les Huguenots, maîtres d’Auxerre en 1567, démolirent entièrement l’escalier de l’hôtel de ville. On le reconstruisit en 1580 et on lui donna un aspect monumental. Le devis porte que :

« En iceluy escalier ferat 4 pilastres en façon de rusticq, et entre chacun pilastre y aura une table d’atante garnie de molures, ensemble des chapitaux et corniches faisant rempand sur les pilastres dudit escalier. Sur lequel rempand feront et y asserront deux lions et ung ange, ou aultre ouvrage, ainsi qu’il sera advisé par lesdits sieurs (échevins), et dessous le­dit ange sera faite une table d’atante; esquel lion et ange seront mis les armoiries du roy et de la ville :

« Auquel escalier y aura 5 marches de chacun costé, de pierre de Tonnerre, etc.... Lesdits lions et ange seront en franc banc de pierre de Tonnerre». (Arch. de la Préfecture, E., minutes d’Armant, notaire.)

 En 1692, la fontaine ne coulait plus, et le monument ne servait plus que d’ornement à la place. Des gens malintentionnés le renversèrent. On ne le releva pas et on se contenta d’incruster dans la façade de l’hôtel de ville l’inscription de marbre, qui a disparu lors de la réfection de l’édifice.

La place de l’hôtel de ville s’appelait, avant le XVe siècle, la Rue du Chastel. Ce quartier était très commerçant au moyen-âge. On voit encore, en face de l’hôtel de ville, deux pignons qui, malgré leur masque de plâtre, rappellent un peu le temps passé. Il y avait encore, il y a quelque dix ans, à la place de la maison Cerceuil n° 14, un pignon de pierre de taille, du XIIIe siècle, appelé la Commanderie, probablement parce qu’il y avait jadis là quelque maison dépendant des chevaliers de Malte. En 1469, Pierre Gonthier, procureur du roi, habitait une maison contiguë à l’hôtel de ville. Elle provenait de Jean de Troyes, receveur de la ville. Jacques Cornouailles, dont les descendants furent, au XVIe siècle, de célèbres peintres, demeurait de l’autre côté de l’hôtel. Michel Massé, peintre, occupait en 1472 la maison de bois qui fait face à l’hôtel de ville et fait angle sur la place au Lait.

La deuxième maison à droite de l’hôtel de ville a vu naître, le 26 avril 1789, une célébrité chirurgicale contemporaine, le docteur Philibert-Joseph Roux; une inscription placée sur cette maison en 1854 en rappelle le souvenir.

L’hôtel de ville, sans avoir eu une grande célébrité, a conservé des souvenirs comiques et même tragiques. Au moyen-âge nous avons vu qu’on y jouait des mystères, fêtes scéniques où nos pères se plaisaient à assister en foule. — En 1792, un drame terrible s’y est accompli, et on y a vu mourir assassinés, sous les yeux du corps municipal, deux citoyens honorables, victimes de la fureur de la populace.

Nous terminerons cet article par un récit moins lugubre. En 1634, le 21 mars, le roi Louis XIII, qui poursuivait son frère Gaston d’Orléans, fauteur de la rébellion des premiers frondeurs, arriva à Auxerre. Il y fut reçu pompeusement sous l’arcade de l’Horloge, qui était ornée de guirlandes de lierre et de fleurs de lys peintes, avec les armoiries du Roi et celles de la ville. Devant l’hôtel de ville était un théâtre sur lequel des musiciens accompagnant des chœurs devaient « incessamment saluer Sa Majesté. » En réjouissance de ce grand événement une fontaine de vin blanc et claret coula tout le  jour devant le perron de l’hôtel de ville.

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