PLACE SAINT-ETIENNE  

Où est aujourd’hui, sur cette vaste place, la belle avenue d’ormes qui l’égayait jadis et sous lesquels les chanoines devisaient à loisir ? Le dernier était encore debout en 1668; il était énorme, mais il finit par mourir de vieillesse et de froid en 1709, et laissa la place triste et nue. Une réminiscence archéologique y a fait replanter, il y a quelques années, deux lignes de ces mêmes arbres, mais la couleur locale n’y est pas revenue.

Cette place était jadis plus petite qu’à présent et elle n’avait pas sa forme actuelle. Il ne faut pas oublier qu’avant le XIe siècle elle s’avançait beaucoup sur l’emplacement de la cathédrale, qui ne prit un grand développement qu’à cette époque. On abattit plusieurs maisons pour l’agrandir, mais elle se ressent toujours de sa disposition primitive. L’axe de la rue qui y conduit ne s’adapte pas avec celui de la cathédrale, preuve, comme nous l’avons déjà dit, que la ville lui est antérieure.

Son nom lui vient de celui de la cathédrale, dont la façade en est un des côtés. C’est aujourd’hui le seul monument resté debout, encore n’est-ce pas la faute de certains patriotes de 93.

On voyait au XII siècle, dans le haut de la place, une chapelle dédiée à saint Etienne, pape et martyr, et qu’on appelait chapelle de Saint-Étienne-le-Petit, pour la distinguer de la cathédrale. Lebeuf pense qu’elle a pu servir de paroisse aux habitants du quartier jusque vers 1240. Elle fut réunie à l’église Saint-Regnobert après le XIIe. siècle.

   La chapelle Notre.Dame-des-Vertus s’élevait en premier lieu contre la porte sud du grand portail de la cathédrale. C’est là que le roi Jean, passant à Auxerre en 1304, fit sa prière, assisté de l’évêque Jean Germain. Cet oratoire était très célèbre.

Au XVIe siècle, le Chapitre éleva à côté de la tour de la cathédrale une charmante chapelle de style renaissance dont il subsiste encore le fond de l’abside, qui porte la date de 1505. Elle était couverte de plomb et surmontée d’une croix de même métal, dorée de fin or par Germain Michel. Sous l’évêque Séguier on l’orna de statues. La voûte de ce petit monument s’écroula en 1780, par l’imprudence de l’entrepreneur qui était chargé de la réparer.

A gauche de la tour nord de la cathédrale était l’hôpital de Saint-Etienne, le Xenodochium dont parle déjà l’évêque Âymar au VIIIe. siècle, et qui eut sa dotation particulière jusqu’au XVIe siècle. Cette maison a appartenu, au XVIIIe siècle, au savant chanoine Potel. On y remarque un joli campanile renaissance. Elle a appartenu au siècle suivant à Mme Duru. M. Duru  y avait réuni une riche collection d’objets d’art et d’antiquités.

La place Saint-Etienne est féconde en souvenirs. Nous pouvons peut-être y placer le fameux arbre auquel saint Germain faisait suspendre les têtes des bêtes fauves qu’il avait tuées à la chasse. Quoi qu’il on soit, lorsque le Chapitre eut été constitué distinctement avec ses biens et  prérogatives, c’est là qu’il se réunissait dans l’été pour prendre le plaisir de la promenade.

C’était sur cette place qu’arrivaient de l’abbaye Saint-Germain, au milieu du parvis, les évêques, intronisés par les quatre premiers barons du diocèse, et portés sur leurs épaules en grande cérémonie.

On y jouait quelquefois des mystères, on y tirait des feux de joie dans les grandes circonstances, et surtout on y élisait l’Abbé des Fous, chaque année, sous l’orme, le 18 juillet, en présence de la foule assemblée.

On trouve à ce sujet, dans les poésies de Roger de Collerye, chanoine d’Auxerre à la fin du XVe siècle, des vers burlesques qui en disent plus que toutes les descriptions. Les voici:

« Sortez, saillez, venez de toutes parts,

Sottes et Sots plus prompts que lyépars,

Et écoutez notre cry magnifique.

Laissez chasteaux, murailles et remparts,

Et vos jardins et vos clos et vos parcs,

Gros usuriers qui avez l’or qui clique,

Faites fermer, marchans, votre boutique,

Grans et petitz destoupez vos oreilles,

Car par l’abbé, sans quelconque trafique,

Et ses suppostz, orrez demain merveilles.

N’y faillez pas, messieurs de la justice.

Et vous aussi, gouverneurs de police.

Admenez y vos femmes sadinettes,

……………………………………                                                     

« Vous y viendrez sans flacons et bouteilles

Car par l’Abbé (sans porter ses lunettes)

Et ses suppostz, orrez demain merveilles.

Marchans, bourgeois, vous gens de tous mestiers,

Bouchers, barbiers, cordonniers, savetiers,

Trompeurs, flûteurs, joueurs de chalumeaux.

Trouvez-vous, aussi menestriers,

……………………. couratiers,

Et apportez de vos bons vins nouveaux.

Badins, touyns, aussi mondains que veaux,

Vous, vignerons, laissez vignes et treilles,

Car par l’abbé, sans troubler vos cerveaux,

Et ses suppostz, orrez demain merveilles.

Fait et donné en ung beau jardinet,

Tout au plus près d’un joly cabinet,

Où bons buveurs ont planté maint rosier,

Scellé en queue, et signé du signet,

Comme il appert, de Desbride-Gosier.

 

Dans le moyen-âge, les condamnés à mort ou aux galères et les individus convaincus d’hérésie étaient amenés sur une charrette devant la cathédrale, une torche de cire à la main, pour faire amende honorable à Dieu et aux hommes (Archives de la Côte-d’or, B. Comptes du domaine à Auxerre.).

Dans les temps modernes, parmi les faits dont cette place a été le théâtre, on a vu, aux Cents-Jours, Napoléon arrivant à Auxerre y passer la revue de sa vieille garde et des quelques régiments qui l’accompagnaient. Il portait le costume historique composé de la redingote grise et du petit chapeau. Il montra encore, dans cette occasion, son esprit soigneux et économe. Il avait revêtu d’abord un costume et un chapeau propres, lorsqu’étant arrivé près de la tour de l’église il s’aperçut que la pluie menaçait. « Qu’on aille me chercher, dit-il, ma vieille redingote et mon vieux chapeau. » Et il s’empressa de les revêtir.

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