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Nicolas Restif de la Bretonne romancier ou historien ? |
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Rétif de la Bretonne a voulu, en contant sa vie dans Monsieur Nicolas, faire profession d'historien et il est de fait que la description du quartier de l'Horloge à Auxerre au milieu du XVIIIe siècle semble rigoureusement exacte le passage public du couvent, dont le frère portier verrouillait les grilles le soir venu; les vieux ormes qui l'ombrageaient; le jardin clos de murs qu'on découvrait du grenier de l'imprimerie; la maison même de l'imprimeur François Fournier; la boutique du libraire; la tourelle de l'ancien rempart... On constate également par les Archives départementales que les gens du quartier, les Baron, les Prudot, les Lamblin... habitaient bien les maisons indiquées par Rétif. Si dans l’immense et captivante production de cet auteur, il reste que la « Vie de mon Père » est son chef d’œuvre, il faudrait se garder de croire tout ce qu'il y est écrit.
« La Vie de mon Père » est sans doute la vie de son père ; mais c’est une vie romancée
Avouons que c’est bien trouvé pour corser un récit dont la trame infiniment plus simple n’eût sans doute sorti que bien peu des habitudes de nuptialité du siècle. Or, sans chercher aucunement à les solliciter, les textes sont là. Lesquels ? Non pas celui de la curieuse célébration liturgique, parfaitement exclue des funérailles combinées avec les noces, mais, dans les archives de Nitry, au registre paroissial de 1713, l’acte d’inhumation du père : « Le 25 avril 1713 a été inhumé, dans l’église Saint-Christophe de Nitry, PIERRE RETIF en son vivant procureur fiscal et Receveur en partie de la Seigneurie du dit lieu, après avoir reçu les sacrements de pénitence, de viatique et l’extrême-onction lequel était âgé de ans. Fait en présence de Mre Jean Rétif à Moutot Noyers et Mre Joseph Rétif aussi demeurant à Soulangy et encore la présence de Mre Etienne Daiguemorte ussi marchand au dit Nitry, témoins qui ont signé avec moy prêtre et curé dudit Nitry soussigné. (seule signature apposée) N ou G Troard ou Broard L’âge de Pierre est manifestement gratté. On ne sait par qui ni pourquoi ? Mais l’on sait que Pierre s’est marié le 21 janvier 1687 et la naissance de son fils Edme date de 1690. Autre remarque que l'on ne trouve pas le registre paroissial de 1690. Il est donc vraisemblable que Pierre Rétif est né entre 1660 et 1667. En 1713, à sa mort, il ne pouvait avoir moins de 46 ans (non 42 ans comme il est dit dans la « Vie » ; sans doute 48 ans. Autre texte parfaitement précis, lui aussi, le mariage d’Edme Rétif avec Marie Dondaine. Celui-ci dans les registres paroissiaux de Sacy, année 1713. Ce n’est donc plus la même paroisse, la même église, dans l’unique et impossible cérémonie. « Ce 27 avril 1713, Messire Nicolas Broard, prêtre et curé de Nitry, à la prière du sieur Pinard curé de Sacy, a donné la bénédiction nuptiale à « Honnête » fils Edme RETIF, fils de feu Messire Pierre RETIF de Nitry et d’honnête femme Marguerite Simon et à honnête fille Marie Dondaine, fille de Messire Thomas Dondaine, syndic au dit Sacy et de feue Marie Berault (avons) même publié leurs bans par trois dimanches consécutifs sans qu’il se soit trouvé aucun empêchement ni opposition, tant à Nitry qu’à Sacy ainsi qu’il paraît par la requête dudit Rétif du 25 du présent mois. Signé Mre Broard, curé de Nitry en présence des parents des dites parties dont soussignés et des témoins aussi soussignés. Suivent 15 signatures dont Edme Rétif, Th. Dondaine, un autre Rétif, 2 Gautherin, 2 Symon, Drouin, Bardin, Edme Piault et Pinard, prêtre et Broard, curé de Nitry.
La fiancée — « la plus âgée des rebutantes créatures » à ce qu’en dit Rétif — était en fait, non la plus âgée mais la seconde des filles de Thomas Dondaine ; elle semble avoir eu deux ans de plus qu’Edme Rétif, son futur mari. Enfin, la bénédiction est donné par Broard, curé de Nitry, en présence de Pinard, curé de Sacy. (Observons que dans la « Vie » les noms des curés sont Pinard, curé de Nitry, et Pandevant, curé de Sacy). On ne chicanera pas l’auteur sur ces détails ; là au moins, on reconnaît facilement que Restif qui écrivait plus de soixante ans après, ait pu confondre les noms des prêtres. Aura-t-il pu se tromper aussi involontairement sur la durée du premier mariage de son père, sur le temps et les circonstances de son veuvage, sur la bigamie du premier mari de sa propre mère, sur l’âge de celle-ci quand elle se remarie ? Il faut bien répondre que c’est impossible. Beaucoup d’autres faits pourraient être relevés qui prouveraient « l’immense faculté d’oubli » de Restif, s’ils ne tendaient davantage à laisser croire que sa fantaisie imposait à ses assertions une distorsion qui les pimentait. A l’en croire, Marie Dondaine aurait donné sept enfants à son mari, en sept années de mariage. Après sa mort, le père aurait été veuf sept années et à quarante-deux ans, aurait épousé une jeune veuve qui n’aurait guère eu que vingt ans. Tout cela est volontairement erroné. On en cherche vainement les raisons. Les archives de Sacy possèdent l’acte de décès, très bref, de Marie Dondaine « Le 12 juin 1730, nous curé de Sacy soussigné, avons inhumé dans l’église Marie Dondaine en son vivant épouse de Messire Rétif, laquelle est décédée d’hyer, munie de tous les sacrements et âgée de 40 ans environ. Les parents et amis présents aux funérailles se sont soussignés. Foudriat, prêtre En 17 années — et non pas sept, comme le dit Nicolas Rétif elle a eu 9 enfants dont sept ont vécu : Anne (1714), Nicolas-Edme (1715), Marie (1716), Marie-Anne (1718), Thomas (1720), Marie-Madeleine (1723) et Marguerite-Anne (1727). On aura reconnu en Nicolas-Edme, le frère aîné, par la suite curé de Courgis, et Thomas, minoré, qui vécut avec son ainé. L’âge de Marie Dondaine paraît exact, à deux ans près, sans doute. Il faut noter qu’on précise l’inhumation « dans l’église », pratique encore courante à cette époque : les Dondaine, ses parents, notabilités de Sacy, y étaient sans doute antérieurement inhumés. Par contre, Restif déclarant, selon Vallery-Radot, qu’il désirait être enterré « vers la porte des épousailles » (en partie murée à cette époque) dans la tombe de ses parents, il semble que ce serait à l’extérieur, dans le cimetière qui entourait l’église jusqu’à une date assez récente où ce cimetière a été désaffecté.
Les mêmes archives de Sacy contiennent aussi l’acte du second mariage : « Le 25 janvier 1734 après la publication faite d’un ban, sans aucune opposition ou empêchement du mariage entre Mre Edme Rétif veuf de déffunte honneste femme Marie Dondaine et honneste femme Barbe Ferlet, veuve de deffunt Mre Boujat, Messire Mignot, Grand Vicaire, les ayant dispensés des deux derniers bans, du jour et de l’heure, vu la dispense à nous adressée, en date du 23 du présent mois, signée Mignot, vicaire général, et plus bas Berault, secrétaire, dûment scellée des armes de Mgr l’Evesque d’Auxerre, nous soussigné, curé de Sacy, avons reçu d’eux leur mutuel consentement de mariage, leur avons donné la bénédiction nuptiale, après les fiançailles faites avec les cérémonies accoutumées nous avons célébré le mariage dans l’église de cette paroisse en présence de Me Jacques Berault, de Mtre Jean Piault soussignés et Edme Belin et autres qui ont dit ne savoir signer. Foudriat, prêtre. Son texte est fort intéressant. Edme Rétif avait été veuf trois ans et demi — non point sept ans — avant d’épouser Barbe Ferlet, dite « de Bertro », par son fils. Edme Rétif avait alors 44 ans et Barbe, 30 ans, non point environ 20 ans comme le laisse entendre son fils. Le précédent mari de cette dernière, Messire Boujat, était mort deux mois auparavant. Il paraît qu’il ne fut pas bigame, mais que le fils qu’il avait eu de Barbe, cet Albert Boujat, demi-frère de Nicolas, était né en 1730, avant le mariage. Vraisemblablement, le mariage, sans être bâclé, a dû être fait avec une certaine hâte. Ceci ressort de la « Vie » où l’intervention influente du jeune curé Foudriat est bien notée. Il faut s’arrêter sur l’intervention de Mre Mignot, Grand Vicaire de I’Evêque. Ce personnage est vraisemblablement celui qui, avec M. Potel, a continué l’histoire des évêques d’Auxerre entreprise par l'abbé Jean Lebeuf. Il sort de cette intervention la notoriété de « l’Honnête Homme » Edme Rétif, lieutenant pour l’Evêque de la seigneurie de Sacy, comme pour le Chapitre d’Auxerre et pour La Commanderie du Temple. Restif parle toujours avec le plus grand respect et la plus grande considération de Mgr de Caylus, évêque d’Auxerre pendant cinquante et un ans et l’une des têtes du Jansénisme. Observons qu’après son mariage, Edme Rétif est allé habiter, avec sa famille dans la maison de Mre Boujat, en face de l’église. C’est là qu’est né N. Restif. Il n’a habité La Bretonne qu’en 1742 ; Restif avait alors huit ans. Le premier domicile de son père fut celui même du beau-père Thomas Dondaine. Du second mariage d’Edme Rétif, sont nés au moins huit enfants dont sept ont vécu Nicolas-Edme, notre héros, né le 23 octobre 1734, puis les jumelles Marie-Geneviève et Catherine (1735), Charles (1740), Jean-Baptiste (1742), MarieAnne (1743) et Pierre (1744). Ce dernier sera l’héritier du domaine agricole de son père. Restif, généreusement, lui accordera la deuxième pseudo-histoire de bigamie de son livre.
Il entra le 14 juillet 1751 en qualité d'apprenti à l'imprimerie Fournier et la quitta devenu compagnon pour prendre le coche de Paris, le 1er septembre 1755. En novembre 1751, Rétif voit pour la première fois la femme de son patron et en tombe aussitôt amoureux : elle sera Mme Parangon pour Monsieur Nicolas. Elle est belle, douce, aimable et n'a, dans l'œuvre, qu'à peine vingt-deux ans. L'imprimeur, toujours dans l'œuvre, gros homme bourru déjà vieillissant, délaisse sa femme pour courtiser les gotons du quartier, et les époux gardent "une conduite abstème l'un avec l'autre". Il est évident que la belle imprimeuse ne restera pas indifférente à la flamme du jeune apprenti de dix-sept ans. En fait, François Fournier, marié en premières noces le 23 avril 1743, demeuré veuf avec deux jumeaux l'année suivante, avait convolé, le 10 mai 1746, à Vermenton, avec Marguerite Collet, de quinze ans plus jeune que lui. En 1751, la « divine Colette » a vingt-six ans, donc presque dix ans de plus que l'apprenti. De plus, elle a déjà donné à son mari quatre enfants. Si les deux jumeaux du premier lit sont élevés à la maison, cela fait donc six enfants (dont les aînés ont sept ans) vivant autour de la jolie dame. Si en mars 1753 Nicolas constate avec peine que Mme Parangon l'abandonne trop à lui-même, il néglige de mentionner que le 27 elle met au monde une fille; et s'il avertit son lecteur que le 26 mars de l'année suivante il a fait violence à la belle Colette, sans d'ailleurs que celle-ci lui en garde rancune, son imagination seule lui permet de croire que l'imprimeuse a pris le coche pour Paris au mois d'août suivant pour accoucher en secret du fruit de leur aventure : le 27 juillet 1754, à Auxerre, quatre mois après l'attentat, Mme Parangon donne à son mari un sixième enfant.
Rétif, toujours persuadé qu'aucune femme "sérieusement attaquée par lui ne peut lui résister", conte encore les malheurs de Marianne Turgis, la jolie bouchère d'Auxerre qui meurt dans une "frénésie furieuse" en 1758 lorsqu'elle apprend le mariage de Nicolas..., et dont la mort ne se trouve mentionnée que le 8 janvier 1790 sur les registres de Saint-Pierre-en-Château. Marianne Turgis avait tout de même trouvé la force, après le départ de Nicolas, de se marier en 1757 et de donner neuf enfants à son époux.
Il y a d'autres épisodes auxerrois, non moins imaginaires, du prétendu récit autobiographique de Monsieur Nicolas. Incapable de savoir où commence le réel et où s'arrêtent les fantaisies de son imagination, le vaniteux et rancunier Rétif de la Bretonne n'en a pas moins laissé d'inoubliables tableaux de la vie auxerroise au milieu du XVIIIe siècle. |